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Une réaction de chimie radicalaire filmée dans une protéine


Publié le 4 avril 2016

Bien que le soufre soit un élément essentiel pour tous les organismes vivants, sa présence dans les molécules naturelles est très restreinte du fait de la difficulté à former une liaison carbone-soufre. En effet, la formation d'une liaison C-S sur un carbone non activé[1] reste un défi pour les chimistes. Pourtant, le soufre, qui est aussi présent dans la plupart des molécules qui occupent le haut du marché des médicaments, est très utile en cours de synthèse.

Pour former ces liaisons C-S, la chimie radicalaire[2] est prometteuse mais encore très largement sous-exploitée. Elle offre des potentialités de réactions multiples mais difficiles à piloter, les espèces intermédiaires étant fugaces, évanescentes et extrêmement réactives. Certaines protéines « savent » tirer parti de la forte réactivité des radicaux libres tout en contrôlant étroitement les mécanismes réactionnels associés. C'est le cas notamment des protéines dites « à radical S-adénosyl-L-méthionine », ou rSAM,  qui sont fréquemment retrouvées à des étapes clés de la synthèse de nombreux cofacteurs[3] protéiques et de vitamines, dans l'activation d'enzymes mais aussi dans la synthèse de nombreux antibiotiques.

Des chercheurs de l'Institut de biologie structurale (CEA-CNRS-UGA), de l'Institut Micalis (Inra-Agroparitech-Upsay) et de l'Institut nanosciences et cryogénie (CEA-UGA)ont identifié une molécule pouvant jouer le rôle de réactif dans le site actif d'une protéine rSAM. Ils ont ensuite déclenché la réaction directement dans un cristal de cette protéine et suivi son évolution au cours du temps, en figeant des images à différents stades. Ces résultats, obtenus en cristallographie par rayons X, ont été complétés par une étude par résonance magnétique nucléaire, par des mesures d'activité en solution et par des calculs théoriques. Ils ont permis de décrire, jusqu'à l'échelle des électrons, la chimie impliquée dans la réaction radicalaire de formation d'une liaison carbone-soufre.

La compréhension des mécanismes fins de contrôle de ces réactions par les enzymes répond à deux grands enjeux :

  • des stratégies de synthèse organique plus performantes,
  • l'utilisation, dans le futur, de ces enzymes comme outils biotechnologiques.

Réaction « filmée » dans la protéine à rSAM HydE. A gauche : état initial avec le réactif. Au centre : mesure du déplacement des atomes au cours de la réaction. A droite : état final avec le produit. (crédit : Yvain Nicolet-IBS)​

[1] Les liaisons C-S sont difficiles à former sur des carbones dits « non activés » ou « aliphatiques », c’est-à-dire des carbones qui ne sont eux-mêmes liés qu’à des carbones ou des hydrogènes.
[2] La chimie radicalaire renvoie à des interactions chimiques entre des espèces chimiques possédant un ou plusieurs électrons non appariés. La présence d'un « électron célibataire » confère à ces molécules, la plupart du temps, une grande instabilité, ce qui signifie qu'elles ont la possibilité de réagir avec de nombreux composés dans des processus le plus souvent non spécifiques, et que leur durée de vie est très courte.
[3] En biochimie, un cofacteur est une substance chimique non protéique, mais qui est liée à une protéine, et qui est nécessaire à l'activité biologique de celle-ci. Les cofacteurs peuvent être considérés comme des « molécule d'assistance » aidant aux transformations biochimiques.

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