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Des peintures murales médiévales datées au carbone 14


​Pour la première fois, des peintures murales de la fin du Moyen-Âge ont pu être datées de manière absolue, grâce à la mesure du carbone 14 contenu dans un pigment très répandu, le blanc de plomb. Ce résultat obtenu au Laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC14, CEA-CNRS-IRSN-Ministère de la culture-IRD) à Saclay ouvre la voie à la datation absolue des peintures sur une large période, de l'Antiquité au 19e siècle.
Publié le 16 juin 2020

Comment débusquer un faux en art ? La datation au carbone 14 est une solution séduisante mais elle requiert des matériaux organiques provenant de végétaux ou d'animaux ayant incorporé du CO2 atmosphérique de leur vivant. Or les pigments sont le plus souvent obtenus par broyage de minéraux inorganiques, dépourvus de carbone 14, et les liants utilisés par les peintres – d'origine organique – se sont dégradés avec le temps et ne contiennent aujourd'hui presque plus de carbone. Quant au support de la peinture, le bois par exemple, il peut être très antérieur à la peinture.

La possibilité de dater du blanc de plomb par le carbone 14 a été démontrée en 2018 avec la découverte de carbone 14 dans des carbonates de plomb utilisés comme cosmétiques dans l'Égypte et la Grèce antiques. Le résultat inattendu des chercheurs du LMC14 révèle que le carbone entrant dans sa composition est d'origine organique et confirme que ce pigment a été produit par synthèse chimique, et non pas par broyage de minéraux, Le procédé de fabrication consiste à corroder du plomb en présence de matière organique en fermentation (vinaigre, crottin de cheval, etc.). Utilisé dès l'Antiquité grecque, il a perduré, à quelques variantes près, jusqu'au 19e siècle, avant de céder la place à une production industrielle à base de dérivés pétroliers.

Plus récemment, les scientifiques ont franchi une étape supplémentaire en datant des échantillons de fresques murales du château de Germolles (Bourgogne) et de fragments d'enduits muraux d'un ancien jubé, aujourd'hui disparu, de l'église des Cordeliers, près de Fribourg (Suisse).

Ces peintures recèlent du carbone d'origine organique (celui du blanc de plomb ou céruse PbCO3) mais aussi du carbone inorganique (celui du carbonate de calcium CaCO3, autre pigment blanc et matériau de construction) qu'il faut éliminer car dépourvu de carbone 14. Les chercheurs sont parvenus à isoler tout le carbone du blanc de plomb en chauffant les échantillons de peinture à 400°C. Dans ces conditions, seuls les atomes de carbone du blanc de plomb s'échappent sous forme de CO2 – un gaz facile à récupérer, les autres restant liés au carbonate de calcium, stable jusqu'à 600°C.

La fraction isotopique de 14C (14C/12C) des prélèvements de CO2 a ensuite été mesurée puis, après des traitements statistiques, les « âges 14C » associés à ces teneurs ont pu être déterminés grâce à la courbe de calibration du 14C. Ces âges se présentent sous la forme de plusieurs intervalles temporels qu'il est parfois possible de resserrer en s'appuyant sur des informations historiques. 

Pour le château de Germolles, la date de cession du château a conduit les chercheurs à restreindre la datation des fresques à 1380-1400. Pour l'église des Cordeliers, les résultats permettent de distinguer deux décors dont le plus ancien date des années 1426-1460. Dans les deux cas, les dates d'exécution des peintures murales sont documentées et s'accordent avec les résultats fournis par l'analyse du carbone 14.

« Le blanc de plomb est un pigment très largement utilisé par les plus grands artistes, en particulier pour les carnations (main, visage, etc.), détaille Lucile Beck, chercheuse au LMC14. Il est également appliqué en sous-couche sur la plupart des tableaux. Cette sous-couche débordant souvent du cadre, on pourrait envisager de prélever de la peinture à cet endroit sans dégrader l'œuvre. Nous travaillons désormais à diminuer encore la masse de matière nécessaire à l'analyse et il devrait bientôt être possible de dater de manière absolue des peintures de chevalet par cette technique. »

Une question subsiste : comment différencier le blanc de plomb composé de minéraux broyés et celui fabriqué avec de dérivés pétroliers ? Dans les deux cas, le carbone 14 a disparu depuis longtemps. Un autre isotope du carbone, le 13C pourrait les départager…

Ce travail a été réalisé en collaboration avec Christian Derigny, Vincent Serneels de l'Université de Fribourg (Suisse) et dans le cadre du doctorat de Cyrielle Messager financé par l'UVSQ et l'école doctorale SMEMAG.


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