Connaître les civilisations anciennes

L'ART PARIÉTAL PRÉHISTORIQUE


Nos ancêtres,
ces artistes



PAR HÉLÈNE VALLADAS

(CEA - Direction de la recherche fondamentale)

Depuis son développement dans les années 1960, la méthode de datation par le carbone 14 (14C) contribue à la connaissance de l'histoire de l'Homme au cours des derniers 40 000 ans. Elle demeure l'un des outils majeurs pour retracer les étapes de son évolution culturelle et de son mode de vie en liaison avec les variations de son environnement. Dans les années 80, elle a connu une impulsion nouvelle avec le développement de la spectrométrie de masse par accélérateur (SMA).

L’atout majeur de la SMA est de s’adresser à de très petits échantillons qui n’étaient pas datables au préalable, du fait de leur taille insuffisante ou qui, trop précieux, ne pouvaient être détériorés de façon notable : ainsi, moins d’un milligramme de carbone suffit pour une mesure, soit plus de mille fois moins qu’avec la technique classique. Alors que cette dernière est fondée sur la mesure de la radioactivité bêta du 14C, la SMA permet d’isoler, grâce à un accélérateur de particules couplé à des spectromètres de masse, un faisceau d’atomes de 14C et de compter ces atomes individuellement dans une chambre d’ionisation.

Jusqu’à l’avènement de la SMA, l’étude de l’évolution de l’art pariétal était fondée sur l’analyse stylistique des représentations ou sur la datation des vestiges trouvés à proximité des parois ornées et supposés contemporains des tracés et sa chronologie restait incertaine. Dès les années 1985, le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA/CNRS/UVSQ/IPSL) a donc développé, en collaboration avec des équipes d’archéologues, la datation directe des dessins et peintures tracés avec du charbon de bois sur les parois des grottes ornées préhistoriques. De 1990 à 2001, ces analyses ont été réalisées sur le Tandetron, première installation de SMA française installée sur le campus du CNRS, à Gif-sur-Yvette [1][1] Arnold M., Bard E., Maurice P., Duplessy JC. 1987. 14C dating with the Gif-sur-Yvette Tandetron accelerator: status report. Nuclear Instruments and Methods in Physics Research B 29: 120–3.. Depuis 2003, les datations sont faites sur ARTEMIS (SMA dédié aux recherches en sciences de la Terre, sur l’environnement et la muséologie) implanté à Saclay au Laboratoire de mesure du carbone 14 [2][2] Cottereau E., Arnold M., Moreau C., Baqué D., Bavay D., Caffy I., Comby, Dumoulin JP., Hain S., Perron M., Salomon J., Setti V. 2007. Artemis, the new 14C AMS at LMC14 in Saclay. France. Radiocarbon 49 (2): 291-299..

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    Représentation d'un bison dans la grotte de Niaux (Ariège) - © J. Clottes.

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    Une main sur les parois de la grotte Cosquer (Bouches-du-Rhône) - © L. Vanrell, ministère de la Culture.

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    ECHoMICADAS au LSCE, SMA de nouvelle génération - © F. Rhodes/CEA.

Jusqu’à présent plus d’une vingtaine de grottes ornées de France et d’Espagne ont fait l’objet de datations. Les résultats obtenus notamment pour les grottes de Niaux en France (Ariège), d’Altamira et d’El Castillo en Espagne (région de Cantabrie) étaient en accord avec la chronologie fondée sur les données stylistiques et confirmaient leur appartenance à la culture magdalénienne (17 000 à 11 000 ans). Mais le grand mérite de la SMA est d’avoir révélé l’existence d’un art pariétal bien antérieur au Magdalénien, confirmant les hypothèses émises par plusieurs archéologues de l’existence d’une activité artistique importante dès la période gravettienne entre 27 000 et 22 000 ans [3][3] Lorblanchet, M. Les Grottes Ornées de la Préhistoire (Errance, Paris, 1995).. Ainsi les datations des peintures et dessins des grottes de Cougnac et de Pech-Merle (Lot) ou de Cosquer (Bouches-du-Rhône) ont montré que ces derniers avaient été réalisés entre 27 000 et 23 000 ans avant le présent, soit plus de 10.000 ans avant les peintures magdaléniennes [4][4] Valladas H., Clottes J., Geneste J-M., Garcia M. A., Arnold M., Cachier H., Tisnérat-Laborde N., Evolution of prehistoric cave art, Nature 413, 4 October 2001, p. 479 !

Ces dates gravettiennes (autour de 25-27 000 ans) ont d’abord constitué un record d’ancienneté pour les peintures paléolithiques. Mais, dès 1995, des âges 14C de plusieurs milliers d’années plus anciens étaient obtenus sur des dessins de la grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche), repoussant encore plus loin dans le passé la naissance de l’art paléolithique [5][5] Clottes J., Chauvet J-M, Brunel-Deschamps E., Hillaire C., Daugas J-P, Arnold M., Cachier H., Evin J., Fortin P., Oberlin C., Tisnerat N., Valladas H., « Les peintures préhistoriques de la Grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche, France) : datations directes et indirectes par la méthode du radiocarbone », Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris,.320 (série II a), 1995, p 1133-1140.. Ces datations faites à Chauvet sur des représentations de rhinocéros, de chevaux, d’aurochs, de mégacéros et de bisons contredisaient les théories fondées sur les études stylistiques : elles montraient que l’art pariétal n’avait pas évolué progressivement d’une phase rudimentaire au début du Paléolithique supérieur, jusqu’à son plein épanouissement à l’époque de Lascaux mais que, dès l’Aurignacien, à l’époque où les hommes modernes se sont répandus en Europe de l’Ouest, des artistes maîtrisaient parfaitement les techniques picturales. Ces premiers travaux dans la grotte Chauvet-Pont d’Arc ont aussi révélé l’existence d’une seconde période de fréquentation de quelques milliers d’années postérieure à la première [4][4] Valladas H., Clottes J., Geneste J-M., Garcia M. A., Arnold M., Cachier H., Tisnérat-Laborde N., Evolution of prehistoric cave art, Nature 413, 4 October 2001, p. 479 [5][5] Clottes J., Chauvet J-M, Brunel-Deschamps E., Hillaire C., Daugas J-P, Arnold M., Cachier H., Evin J., Fortin P., Oberlin C., Tisnerat N., Valladas H., « Les peintures préhistoriques de la Grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche, France) : datations directes et indirectes par la méthode du radiocarbone », Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris,.320 (série II a), 1995, p 1133-1140..

Depuis 1995, plus d’une centaine de datations 14C a été réalisée pour cette grotte, à la fois, sur d’autres représentations animales, sur des ponctuations ou tracés noirs pariétaux et sur des échantillons de charbon de bois récoltés sur le sol. L’analyse statistique de l’ensemble des datations a confirmé les deux périodes de fréquentation de la grotte, en précisant leur durée respective [6][6] Quiles A., Valladas H., Bocherens H., Delqué-Količ E., Kaltnecker E., van der Plicht J., Delannoy J.J., Feruglio V., Fritz C., Monney J., Philippe M,, Tosello G., Clottes J., and Geneste J.M., PNAS April 26, 2016 113 (17) 4670-4675.. C’est la période ancienne (environ 37 000-34 000 ans) qui est la plus documentée : elle comporte les représentations animales et la majorité des charbons récoltés au sol. La seconde période (31 000-29 000 ans) se caractérise par des ponctuations noires et quelques charbons au sol. Les hommes qui ont pénétré dans la grotte au cours de cette seconde période ont parcouru les mêmes salles que leurs ancêtres en observant les dessins que ces derniers avaient réalisés quelques millénaires plus tôt.

L’exemple de la grotte Chauvet-Pont d’Arc montre combien la SMA a renouvelé nos connaissances de l’art paléolithique. Actuellement, le principal facteur limitant aux datations d’œuvres pariétales est la rareté du pigment organique. L’installation en 2015 au LSCE d’ECHoMICADAS, SMA compact de nouvelle génération, qui permet de réduire à quelques dizaines de microgrammes la masse de carbone nécessaire à l’analyse, suscite beaucoup d’espoir, en ouvrant de nouvelles perspectives aux recherches sur l’art
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visite virtuelle de la grotte Chauvet-Pont d’ArcVisitez virtuellement la grotte Chauvet-Pont d’Arc !