La corrosion et, plus généralement,
l’altération chimique des matériaux est un problème important pour
presque toutes les installations ou objets dont la durée de vie doit
être longue. C’est le cas – entre autres – des installations nucléaires !
Il y va de la sûreté des réacteurs, des usines du cycle et des
installations de stockage et d’entreposage de déchets. Il y va aussi de
la compétitivité économique du nucléaire : les enjeux économiques
associés se chiffrent en dizaines de milliards d’euros pour l’industrie
nucléaire mondiale. Les enjeux actuels sont particulièrement forts, car
les exploitants nucléaires demandent aujourd’hui un allongement de la
durée de vie de leurs réacteurs. Les réacteurs de troisième génération
sont d’ailleurs prévus pour durer soixante ans, soit presque le double
de ce qui était prévu initialement pour les réacteurs de la génération
précédente. Sachant que le vieillissement de ces installations est
gouverné, dans une large mesure, par la corrosion, on comprend aisément
les enjeux associés à une bonne maîtrise des phénomènes associés, ce qui
justifie l’effort de recherche mené de longue date par le CEA, visant à
prédire la corrosion, et à la limiter.
Plusieurs phénomènes compliquent les processus d’altération (électro-)chimique des matériaux :
- d’abord, les phénomènes électrostatiques, de transport d’ions à
travers des couches limites ou à travers des couches de produits
d’altération déjà formés, sont étroitement couplés avec les réactions
chimiques aux interfaces. Ces couplages prennent une importance
différente selon les systèmes étudiés, car leur hiérarchisation dépend
des modalités de renouvellement du fluide altérant, de la microstructure
de la matière en cours d’altération, de son contenu en impuretés et de
la répartition spatiale desdites impuretés, de la morphologie de la
couche d’altération (épaisseur, porosité, degré de fracturation) et de
ses propriétés de transport (électronique, ionique). Selon leur
hiérarchie, ces couplages donnent naissance à une zoologie riche et
variée de phénomènes d’altération ;
- ensuite, même si son résultat apparaît global et uniforme, la
corrosion est souvent le fait de phénomènes localisés. Il faut souligner
l’importance des défauts cristallins (joints de grain) et des défauts
de surface (marches, fissures), car les conditions physico-chimiques en
leur voisinage peuvent être très différentes de celles du milieu
ambiant, tel qu’on le voit avec un oeil « macroscopique » ;
- enfin, le "diable" de la corrosion est dans les détails : pour ne
citer que quelques exemples, les impuretés du matériau ont leur
importance, car elles sont susceptibles de modifier les conditions
chimiques locales ; la composition du fluide altérant influe beaucoup
sur les phénomènes de dissolution-précipitation : il arrive que des
éléments très minoritaires de la solution gouvernent la nature des
phases précipitées ; même les bactéries peuvent jouer un rôle, en
bouleversant localement le pH et le potentiel redox !
Tout cela peut donner l’impression qu’en
matière de corrosion chaque cas est un cas particulier. Force est de
constater que nous ne sommes pas encore arrivés à une approche unifiée
de la corrosion !
Vue de près, la science
de la corrosion ressemble à une mosaïque qui ne laisse apparaître que
des disciplines isolées : la thermodynamique, la cinétique chimique, la
chimie, l’électrochimie, la métallurgie, la minéralogie, jusqu’à la
mécanique et même la biologie.
Pourtant,
même si les échelles d’espace en jeu s’étalent sur une gamme de quelque
huit ordres de grandeur, une certaine cohérence se dégage depuis peu
dans les approches mises en œuvre pour décrire les différents phénomènes
de corrosion, ce qui permet de dégager quelques principes directeurs et
d’ordonner un peu la phénoménologie. Les approches ab initio et de
dynamique moléculaire permettent désormais de modéliser les trois grands
phénomènes à l’œuvre dans tout processus de corrosion : les phénomènes
redox aux interfaces, les phénomènes de transport d’espèces chimiques,
et les phénomènes de dissolution-précipitation. Nous pouvons espérer que
les approches ab initio ou de dynamique moléculaire fourniront les
paramètres cinétiques nécessaires aux modèles cinétiques ; nous pouvons
espérer que les modèles de type Diffusion-Poisson permettront
d’identifier les étapes limitantes du processus de corrosion, fondant
ainsi sur des bases solides les modèles de cinétique hétérogène. Ce
chaînage des modèles laisse entrevoir une unification des modèles par
emboîtement des échelles d’espace en jeu.
Par
ailleurs, les outils dont nous disposons pour l’étude de la corrosion
progressent : nous disposons maintenant d’une panoplie d’outils
expérimentaux, de caractérisation et de calcul qui permettent d’espérer
mieux comprendre les phénomènes et traiter les couplages entre chimie,
mécanique et transport.