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Quand la physique des réacteurs rencontre la théorie des jeux


​Une collaboration internationale associant le CEA-Irfu et la Direction des énergies du CEA a mis en évidence un mécanisme subtil de « clustering » neutronique en combinant rigoureusement des expériences en réacteur nucléaire, des modélisations et des simulations, toutes extrêmement exigeantes. Un résultat qui dépasse le seul cadre de la sûreté nucléaire…
Publié le 12 octobre 2021

Quiconque joue indéfiniment une mise fixe à un tirage à pile ou face finit tôt ou tard par être ruiné. Ceci s'explique par le fait que son capital fluctue de plus en plus jusqu'à la perte fatale.

A priori rien de commun entre « la ruine du joueur » et le démarrage d'un réacteur nucléaire… et pourtant, l'exploitant injecte des neutrons pour démarrer les réactions de fission, comme autant de « mises » pour un « jeu ».

En effet, un neutron peut provoquer la fission d'un atome et donner naissance à plusieurs neutrons en une « mise » gagnante, ou au contraire, il peut être absorbé et disparaître en une « mise » perdante. Tandis que les joueurs ruinés disparaissent, laissant de nombreux espaces vides, de rares joueurs très chanceux amassent des magots. De manière analogue, on observe une hétérogénéité croissante de la teneur en neutrons au sein du réacteur, avec la formation progressive de zones à forte et faible densités en neutrons (clustering neutronique).

Des chercheurs sont parvenus à mettre en évidence ce phénomène de clustering neutronique à l'aide d'expériences de physique des réacteurs qui ont eu lieu en 2017 auprès du Reactor Critical Facility (RCF) du Rensselaer Polytechnic Institute (États-Unis).

L'analyse des expériences s'est appuyée sur une campagne de simulations intensives de trois années, incluant un « jumeau numérique » du réacteur. Pour la première fois, une statistique réaliste des neutrons du réacteur a pu être simulée par un code de neutronique de haute fidélité.

Les prédictions théoriques d'un modèle particulier de clustering neutronique développé à partir du modèle mathématique des « marches aléatoires branchantes » se trouvent confirmées de manière très nette.

Ces résultats sont également reproduits à l'aide des simulations Monte-Carlo du transport des neutrons décrivant les fluctuations inhérentes au processus de fission. Les simulations calibrées à l'aide des expériences révèlent des effets de clustering très forts lorsque la population de neutrons est « radiographiée » à un instant donné.

Pour les expériences, les chercheurs ont utilisé des détecteurs permettant de réaliser une cartographie unidimensionnelle des neutrons avec une très bonne résolution temporelle (NeutrOn Multiplicity he3 Array Detector, NOMAD) – une technologie développée par le Los Alamos National Laboratory. Ces détecteurs positionnés par paire, l'un sur l'autre, fournissent des instantanés de la population neutronique couvrant toute la taille du réacteur.

Ces travaux intéressent en priorité la sûreté nucléaire. La configuration d'un réacteur nucléaire en phase de démarrage, comptant très peu de neutrons, est susceptible de favoriser un effet de clustering. Si le réacteur était affecté par des effets locaux de sur-criticité, le diagnostic de ces anomalies pourrait s'avérer plus compliqué en présence de clustering au démarrage et ne se révéler que lors de la montée en puissance du cœur.

En physique fondamentale, ces recherches ouvrent des perspectives sur la modélisation stochastique et l'utilisation de la simulation Monte-Carlo pour la compréhension de phénomènes diffusifs comme l'étude de la phase initiale des épidémies ou la compréhension du phénomène de décohérence en mécanique quantique.


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