Nos recherches visent à décrypter les mécanismes moléculaires qui confèrent aux Déinocoques une résistance extrême aux radiations et aux stress qui endommagent l’ADN (e.g. dessiccation, UV, mitomycine C (antibiotique, anti-cancéreux), stress oxydant en général). Dans ce contexte, nos travaux se concentrent sur la caractérisation de
Deinococcus deserti, une bactérie radiorésistante isolée du désert du Sahara, présentant des caractéristiques originales (par rapport notamment à l’espèce modèle
Deinococcus radiodurans) mises en évidence par protéo-génomique comparative (De Groot et al. (2009)
PLoS Genet). L’exploration de la biodiversité des
Deinococcus, isolées de divers environnements dans le monde, est également au cœur de nos études actuelles.
Thématique scientifique
Les bactéries
Deinococcus, coques ou bâtonnets, présentent des colonies colorées sur boîtes de Pétri dû à la présence de caroténoïdes. Ces bactéries tolèrent des doses de rayonnement ionisant beaucoup plus élevées que la plupart des bactéries et les cellules humaines (pas de perte de survie à 5000 Gray (Gy) alors qu'une dose de 10 Gy est létale pour l'homme). Cette résistance extrême est liée à la capacité des
Deinococcus à reconstituer un génome intact à partir d'un génome fragmenté par l'irradiation, incluant une réparation efficace de nombreuses cassures double-brin qui sont létales pour la plupart des organismes (De Groot et al. (2009)
PLoS Genet).
Leur secret, découvert pas à pas au cours des dernières années, réside dans une combinaison de nombreux facteurs et de mécanismes de réparation et de protection finement régulés (Lim, Jung, Blanchard, De Groot (2019)
FEMS Microbiol Rev). De nombreux mécanismes et fonctions de nouvelles protéines restent cependant encore à décrypter.
Comprendre comment les Déinocoques résistent aux radiations peut conduire à une meilleure compréhension de la résistance aux radiations d'autres organismes ou cellules (notamment certaines cellules cancéreuses présentant une résistance accrue aux radiothérapies), ou inversement de comprendre pourquoi certaines cellules sont plus radiosensibles que d’autres.
Approches utilisées
Les approches globales, de protéo-génomique ou transcriptomique (RNA sequencing) différentielles, que nous utilisons permettent de sélectionner des gènes/protéines en lien (potentiel) avec la radiorésistance. Les cibles (e.g. gènes/protéines radio-induit(e)s, impliqué(e)s dans la réparation de l'ADN, spécifiques aux
Deinococcus ou à
D.
deserti) sont ensuite caractérisé(e)s par génétique et biochimie structurale.
Résultats marquants
-
Annotation précise des génomes grâce à la génomique comparative, protéomique et RNA sequencing.
De nombreuses corrections d'erreurs de prédiction, incluant la position de codons start, ont permis la caractérisation de gènes, protéines et régions d'ADN régulatrices jouant des rôles clés (De Groot et al. 2009 ; Baudet et al. 2010 ; De Groot et al. 2014). Le régulateur central IrrE, et la détermination de sa structure 3D, et la protéine du nucléoide HU en sont deux exemples. -
Adaptation aux conditions climatiques sévères du Sahara et spécificités de
D. deserti.
Description de deux protéines RecA différentes et trois ADN polymérases translésionnelles fonctionnelles chez D. deserti permettant un savant équilibre entre réparation fidèle de l'ADN et variabilité génétique nécessaire à la survie dans des conditions pauvres en nutriments et d'exposition aux UV, conditions environnementales drastiques des déserts chauds et secs (Dulermo et al. 2009). -
Découverte de l'utilisation majoritaire du système d'initiation de traduction « leaderless » ancien chez
Deinococcus.
60 % des ARN messagers chez
D. deserti sont leaderless (c'est à dire le codon start de traduction n'est pas précédé d'une région d'ARN non-traduite), incluant de nombreux ARNs codant pour des peptides. Ces résultats ont apporté une nouvelle explication pour l'origine du pool de peptides anti-oxydants intracellulaires qui protègent les protéines contre l'oxydation après irradiation, une des clés de la radiorésistance (De Groot et al. 2014). -
Caractérisation du nucléoïde hyper-compact de
D. deserti et
D. radiodurans.
Faible diversité protéique au sein de ces nucléoïdes super condensés, avec la présence majoritaire de la protéine HU (Histone-like) dans les deux bactéries (Toueille et al. 2013 ; Bouthier de la Tour et al. 2013 ; 2015). -
Découverte du mécanisme original de réponse aux radiations chez
Deinococcus,
impliquant une métalloprotéase (IrrE) et un répresseur transcriptionnel (DdrO) (Ludanyi et al. 2014 ; Blanchard et al. 2017 ; De Groot et al. 2019 et faits marquants CNRS/INSB). Le décryptage de ce mécanisme fait l'objet de notre projet actuel principal, développé dans le cadre de l'ANR NOVOREP et décrit ci-dessous. -
Méta-analyse exhaustive
des systèmes de réparation de l'ADN, de défense contre le stress oxydant, et autres mécanismes de radiorésistance, et leur régulation dans
11 génomes de Déinocoques, montrant une diversité insoupçonnée de ces mécanismes au sein même des
Deinococcus. L'exploration de cette biodiversité ouvre la voie à de nouvelles recherches, de nouvelles découvertes (Lim, Jung, Blanchard, De Groot (2019) et
communiqué de presse).
Projet majeur actuel :
ANR NOVOREP
Mécanisme original de réponse aux radiations chez
Deinococcus
Après irradiation, l'induction de l'expression des gènes conduisant à la survie des cellules se fait d'une façon originale, SOS-indépendante. Deux acteurs clés contrôlent ce « switch » génétique : la métallopeptidase IrrE et le répresseur DdrO (Ludanyi et al. 2014 ; Blanchard et al. 2017), pour lesquels nous avons déterminé la structure 3D.
IrrE présente une combinaison unique de deux domaines : un domaine métallopeptidase et un domaine senseur putatif (Vujicic-Zagar et al. 2009). DdrO est constitué d'un domaine de liaison à l'ADN classique de type HTH et d'un domaine C-terminal qui est la cible de IrrE et présente un nouveau repliement (De Groot et al. 2019).
Dans les conditions standard, DdrO se lie sous forme de dimère aux deux demi-sites d'un motif palindromique de 17pb, inhibant ainsi la transcription des gènes dépendants du couple IrrE/DdrO. Après irradiation/dessiccation, DdrO est clivé par IrrE induisant rapidement l'expression de gènes de réparation de l'ADN, de gènes de fonction inconnue et de
ddrO lui-même. Nos collaborateurs de l'I2BC (Equipe F. Confalonieri, Paris Saclay) ont découvert que l'absence prolongée de DdrO induit la mort cellulaire de type apoptose chez
Deinococcus (Devigne et al. 2015). Le phénomène de mort cellulaire programmée est peu caractérisé dans le monde bactérien.
Pour plus d'informations sur le mécanisme moléculaire de réponse aux radiations voir l'article De Groot et al. (2019
Nucleic Acids Res.) et le
fait marquant du CNRS/INSB associé.
La poursuite de la caractérisation de ce mécanisme original de levée de répression fait l'objet du projet ANR NOVOREP ANR-2019-CE12-0010 qui a débuté en janvier 2020.
Collaborateurs
Doctorants actuels et précédents
Rémi Dulermo (2006-2009),
Monika Ludanyi (2011-2014), Romaric Magerand (2017-
Collaborateurs du
BIAM, CEA Cadarache
M. Siponen, P. Arnoux, D. Pignol (MEM),
D. Lemaire (IPM),
P. Rey (PPV)
Collaborateurs extérieurs
F. Confalonieri, S. Sommer (I2BC, Institut de Biologie Intégrative de la Cellule, Univ. Paris Saclay)
P. Roche (CRCM, Inserm, CNRS, Institut Paoli Calmettes, Aix Marseille Univ.)
J. Armengaud (CEA Marcoule, Institut des Sciences du Vivant Frédéric Joliot, DRF CEA)
Genoscope
- Centre National de Séquençage -
LabGeM (Institut de Biologie François Jacob, DRF CEA)
J.-H. Jung et S. Lim (KAERI, Korea Atomic Energy Research Institute, Corée du Sud)