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DECRYPTAGE - L'OEIL DE L'EXPERT

Comment se préparer aux prochaines pandémies et maladies infectieuses ?


Alors que la Covid-19 circule toujours, la variole du singe fait également l’actualité tandis que le nombre de cas de rougeole explose sur le continent africain. Les pandémies et maladies infectieuses n’ont ainsi pas fini de faire parler d’elles. Peut-on toutefois les prévoir et les anticiper ? Comment mieux s’y préparer et y faire face ? Le point avec Roger Le Grand, directeur d’Idmit au CEA.


Publié le 3 juin 2022
Roger Le Grand est directeur d’Idmit, département de l’Institut de biologie François Jacob du CEA consacré à la recherche préclinique et clinique sur les maladies infectieuses humaines. L'institut est situé sur le centre du CEA de Fontenay-aux-Roses et de la faculté de médecine de l’Université Paris-Saclay (92).

Quelles sont les causes des pandémies et des maladies infectieuses ? Leur fréquence va-t-elle augmenter ?

Les possibles causes de pandémies et maladies infectieuses sont diverses. Il y a notamment le réchauffement climatique, avec pour conséquence la migration de certaines espèces aquatiques ou terrestres entrainant la circulation d’agents pathogènes transmissibles à l’homme. Des facteurs économiques, culturels et sociétaux favorisent également l’émergence d’agents pathogènes à l’origine de zoonoses, maladies transmises à l’homme par l’animal. Par exemple, pour la Covid-19, c’est un marché d’animaux vivants qui a été possiblement identifié comme lieu d’origine, tandis que la transmission du virus Ebola à l’homme provient à la fois de chauve-souris qui migrent et de la chasse de singes contaminés. La diffusion des maladies infectieuses est aussi liée à la circulation des personnes, qui a augmenté de façon exponentielle avec le transport aérien : sans l’avion, il n’y n’aurait pas eu une dissémination aussi rapide et massive de la Covid-19 à l’échelle du globe. Autre source possible d’apparition de ces maladies : une mauvaise utilisation des antibiotiques qui risque de faire apparaître des bactéries résistantes pouvant être disséminées progressivement sur l’ensemble de la planète et pour lesquelles l’arsenal thérapeutique sera limité. Le terrorisme peut aussi être responsable de la survenue de maladies infectieuses, avec la dissémination volontaire d’un agent pathogène.

Il est clair que l’activité humaine dans son ensemble augmente le risque d’émergence de pandémies et maladies infectieuses, mais on ne sait pas encore calculer ce risque. Anticiper les prochaines pandémies reste difficile, surtout si l’on essaye de prévoir quels seront les prochains virus ou bactéries qui vont nous impacter. Par exemple, le « monkeypox » (la variole du singe) fait partie de la liste des pathogènes prioritaires. Il appartient à la même famille que le virus de la variole qui a été déclaré par l’OMS et éradiqué de la planète depuis 1981. Cette éradication a été obtenue grâce à des campagnes massives de vaccination. Il existe cependant d’autres virus de la même famille dans différentes espèces animales. Ces virus sont occasionnellement transmis à l’homme lors de contacts avec les animaux infectés. Il s’agit donc de virus responsables de zoonoses. Leur impact épidémique a été cependant jusqu’à présent limité.

Si l’on ne peut pas anticiper aisément l’émergence de prochaines pandémies et maladies infectieuses, peut-on néanmoins s’y préparer et, si oui,
comment ?

Se préparer à une nouvelle crise, c’est se préparer d’abord d’un point de vue scientifique. En concentrant et en accélérant notamment la recherche sur les agents pathogènes prioritaires listés par l’OMS. Objectif ? Mieux comprendre la vulnérabilité de ces pathogènes, leur capacité de dissémination et d’évolution, afin de mieux anticiper leur impact sur les populations. Une déclinaison de cette liste est en œuvre en France par l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) / Maladies infectieuses émergentes (MIE)* pour cibler les pathogènes prioritaires à l’échelle nationale.

Il faut également se préparer d’un point de vue économique, en tâchant d’être davantage souverains en Europe dans nos décisions ainsi que dans nos moyens de production et d’approvisionnement des contremesures médicales et des vaccins.

Il est important aussi de se préparer d’un point de vue social. Tout le monde a fait le constat pendant la pandémie de Covid-19 que la communication est un élément crucial. Que ce soit pour sensibiliser la population aux mesures d’hygiène et de distanciation sociale à adopter ou pour les informer sur les vaccins. Parce qu’avoir un vaccin ne suffit pas : il faut aussi, pour que son action soit efficiente, réussir à convaincre les gens de se faire vacciner, en faisant passer la bonne information via les bons canaux de communication.

Pandémies et maladies infectieuses : une si longue histoire

Les pandémies et maladies infectieuses émergentes ont toujours existé. Les échanges entre les environnements végétal, minéral, animal et humain sont en effet permanents. La planète a été par exemple largement infestée par la peste au Moyen Age, qui provenait d’une absence de maîtrise de la faune réservoir (les rats), combinée à des problématiques sanitaires inhérentes à l’époque et une sensibilité naturelle plus grande de la population à ce pathogène, tant que l’immunité de groupe et le contrôle épidémique n’étaient pas installés. Partie d’Asie puis disséminée aux Etats-Unis, la grippe espagnole, qui a tué dans le monde au moins 25 millions de personnes entre 1918 et 1919, s’est largement déployée en Europe pendant la Première Guerre Mondiale via l’arrivée en renfort de soldats américains dans les camps militaires et les tranchées, puis le long des colonnes de flux migratoires de populations fuyant la guerre.

Quels sont les leviers à activer pour faire face de façon plus efficiente aux pandémies et maladies infectieuses à venir ?

Au début de la crise Covid-19, il a manqué, à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne, une réponse coordonnée, avec des capacités d’investissements rapides et forts, permettant de mettre au point et de produire au plus vite des lots de vaccins. Tout cet écosystème nécessaire pour réagir rapidement en cas d’épidémie n’était pas suffisamment connecté, organisé et agile.

Pour être plus efficient et réactif en période de crise, il est ainsi impératif de penser en amont un plan de développement et de mettre en œuvre un système de coordination avec des structures et des experts déjà identifiés, et avec des cahiers des charges bien établis. Les équipes qui travaillent à la mise au point d’un vaccin, par exemple, doivent pouvoir avoir accès, très en amont dans la recherche, à tous les outils disponibles ainsi qu’aux éléments connus sur l’innocuité, l’efficacité et les possibilités de production rapide à large échelle, du type de vaccin envisagé.

Tout le continuum nécessaire pour aller de l’amont à l’aval de la production d’un vaccin doit être organisé afin d’optimiser au mieux les délais de conception et de production. Il est donc essentiel que des usines de production de vaccins fonctionnent en période de « paix épidémique » et pas seulement en période de crise, pour que leur maintenance et l’approvisionnement en matériel soient constamment garantis. Il s’agit ainsi de maintenir un minimum de mise en tension de ces moyens pour qu’ils soient opérationnels à tout instant.

Pour se préparer aux prochaines pandémies et maladies infectieuses, une mobilisation constante d’experts en biologie, économie, sciences sociales et communication s’impose également. Ce sont eux qui peuvent apporter aux états une vision, une feuille de route, des modèles d’organisation et des vecteurs de communication à mettre en œuvre. C’est ensuite à la communauté toute entière de faire un effort financier important pour soutenir cette organisation.

Se préparer, c’est aussi investir dans la recherche sur le long terme. Prenons l’exemple du vaccin Moderna contre la Covid-19. Des chercheurs des National Institutes of Health (NIH) américains travaillaient au Vaccine Research Center depuis plusieurs années sur différents types de vaccins, notamment sur les coronavirus. Quand le SARS-CoV-2 est arrivé, ils ont simplement adapté leur technologie pour faire de nouvelles protéines et les insérer ensuite dans le vaccin ARN de Moderna. Vaccin ARN qui lui aussi n’a pas été inventé avec le SARS-CoV-2 : des équipes dans le monde s’y consacrent depuis déjà 30 ans ! Un ensemble de connaissances et de technologies étaient donc prêt parce qu’il y avait eu un investissement sur le long terme de moyens significatifs. Et ce, sans savoir si cet investissement allait être bénéfique un jour, c’était une prise de risque. Nous devons en France et Europe développer beaucoup plus cette culture du risque.

Toutes ces réflexions visant à mieux se préparer à l’apparition de maladies infectieuses sont en grande partie coordonnées par l’ANRS/ MIE.

Peut-on accélérer le délai de conception, fabrication et mise sur le marché d’un vaccin ?

En temps normal, il faut compter 5 à 10 ans, parfois plus, pour produire un vaccin. Et c’est sans compter la difficulté scientifique qu’il peut y avoir au départ. Ainsi, on n’a toujours pas de vaccin contre le VIH ou la tuberculose de l’adulte (ndlr, le BCG, vaccin contre la tuberculose, est efficace chez les enfants), non pas parce que l’on ne sait pas faire cette recherche, mais parce que scientifiquement parlant, on ne sait pas comment attaquer la bactérie ou le virus. La pandémie de Covid-19 nous a appris que l’on était capables de réduire ce délai. Pour ce faire, il faut mobiliser beaucoup de personnels qui ne doivent se concentrer que sur ce vaccin. Cet effort étant considérable, on ne peut le mettre en œuvre en dehors des périodes de crise. Il y a en effet d’autres vaccins saisonniers ou classiques sur lesquels il y a de la recherche à faire. On ne peut pas les arrêter pour ne faire que de la préparation de crise pandémique.

Comment la recherche fondamentale menée au CEA, et notamment au sein d’Idmit, permettra d’être plus réactifs sur les prochaines pandémies et maladies infectieuses ?

Idmit a reçu un investissement de 27 millions d’euros du Programme d'investissements d'avenir (PIA) en 2012, ce qui a permis de développer progressivement les moyens nécessaires pour travailler sur les maladies infectieuses, notamment avec des modèles animaux. Et in fine une infrastructure nationale en biologie et en santé inaugurée en 2018, composée d’un important groupe d’experts et d’équipements scientifiques de pointe. C’est un investissement de long terme, qui a mis plusieurs années à se mettre en place. L’infrastructure fort heureusement était opérationnelle en 2020 : cela faisait deux ans que l’on avait rôdé nos laboratoires, le réseau était établi avec différentes institutions nationales et internationales, notamment l’Institut Pasteur qui nous a fourni les souches de SARS-CoV-2, et le personnel était formé. Nous avons donc pu contribuer à l’effort national pour faire face à la pandémie de Covid-19. Avec un modèle animal mis au point à Idmit, nous avons pu ainsi mieux comprendre les mécanismes de transmission et d’infection du virus responsable de la Covid-19, tester des vaccins et explorer des traitements. Notre organisation est finalement un exemple à mini-échelle de ce que signifie être préparés.

*Créée en janvier 2021, l’ANRS / MIE, nouvelle agence autonome de l’Inserm est issue de la fusion de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) fondée en 1988 et du consortium REACTing, dont la mission depuis 2013 était de structurer et d’accélérer la recherche sur les maladies infectieuses.

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