Préserver les vestiges du passé

CONSERVER ET CONSOLIDER


Comment conserve-t-on
les métaux ?



PAR DELPHINE NEFF

(CNRS)

  • Le Penseur de Rodin

    Le Penseur de Rodin - © Musée Rodin - CEA

  • Cathédrale de Chartres

    La toiture métallique en cuivre de la cathédrale de Chartres - © Wikipedia.

Grâce à ses propriétés physiques particulières (bonne tenue mécanique, conductivité thermique etc.), le métal occupe une place importante dans le développement des sociétés du passé.

Le corpus des métaux du patrimoine recouvre des usages aussi divers que l’architecture (toitures en plomb, zinc ou cuivre, barres de renfort en fer ou en acier dans les bâtiments), les outils de production ou du quotidien (marteaux, socs de charrues, haches, couteaux…) ou encore les objets culturels (instruments de musique, bijoux etc.). Sa préservation est donc d’autant plus importante pour les métaux les moins nobles comme les alliages ferreux et cuivreux ou le plomb, qui sont particulièrement sujets à l’altération. Cette altération, nommée spécifiquement corrosion dans le cas des métaux, est l’ensemble des processus physico-chimiques d’oxydation se produisant en présence des espèces chimiques des milieux dans lesquels les métaux évoluent lors de leur histoire (eau, gaz de l’atmosphère, sels minéraux…). Il se forme alors des couches de produits de corrosion dont les propriétés ont également une influence sur la conservation des objets. En outre, celles-ci contiennent les informations sur la surface d’origine et donc la forme initiale de l’objet qu’il convient également de conserver. Le NIMBE/LAPA [1]NIMBE (Nanosciences et Innovation pour les Matériaux, la Biomédecine et l'Énergie) est une unité mixte de recherche CEA/CNRS (UMR 3685), spécialisée dans la conception, le façonnage et l'analyse de la matière de l’échelle du micron à l'échelle nanométrique, ainsi que la compréhension des mécanismes physicochimiques et leurs synergies à ces échelles. Elle s’appuie sur différents laboratoires, dont le Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA). a ainsi développé des compétences spécifiques d’analyse et de compréhension des processus physico-chimiques mis en jeu dans ces contextes de préservation des métaux du patrimoine afin de développer des traitements innovants dans ce domaine. La méthodologie mise en œuvre se base sur l’utilisation de techniques d’analyse de pointe qui permettent de comprendre, grâce à leur complémentarité, la morphologie, la composition chimique et la structure cristalline des produits de corrosion, et ce à des échelles adaptées à l’hétérogénéité de ces matériaux, à savoir du millimètre au micromètre.
Les éléments métalliques peuvent nous parvenir soit après une période, parfois millénaire, d’abandon, soit encore en utilisation. Leur préservation prend donc en compte la succession des milieux auxquels ils ont été ou sont confrontés. Par exemple, un objet archéologique issu d’une épave s’est corrodé pendant plusieurs centaines d’années en milieu marin puis, à la suite de l’opération de fouille, est brutalement exposé à l’oxygène de l’air. Ce changement de conditions environnementales peut provoquer une accélération brutale des processus de corrosion et la perte rapide de l’objet s’il n’est pas traité. Ce phénomène est lié à la présence de phases cristallines chlorées peu réactives en immersion en milieu marin mais qui vont se dissoudre brutalement lorsque les objets sont remis en présence de l’humidité et du dioxygène atmosphérique. Il est alors nécessaire d’effectuer une intervention de stabilisation (en bain de soude par exemple), le plus tôt possible après l’opération de fouille, afin d’éliminer ces phases dangereuses pour la préservation de l’objet.

Ainsi pour comprendre les processus en jeu lors de la stabilisation d'objets archéologiques ferreux, des analyses ont été conduites en laboratoire et sous rayonnement synchrotron à l'aide d’une cellule de mesure in-situ. Le but était de mettre en évidence les étapes de transformation chimique des produits de corrosion lorsqu'un objet corrodé en milieu marin est immergé dans une solution de soude (NaOH). A cette fin, une section de produits de corrosion a été prélevée sur une barre de fer romaine issue d’une épave immergée au large des Saintes-Maries-de-la-Mer. La solution de soude circule sur la surface externe des produits de corrosion et diffuse progressivement en profondeur dans la couche épaisse de quelques millimètres. Grâce à des analyses en coupe transversale, la transformation des produits de corrosion in-situ a été mise en évidence en fonction du temps. Une expérience majeure de cette étude a montré qu’un milieu de soude désaéré est beaucoup plus efficace pour retirer les phases qui contiennent du chlore qu’un milieu aéré.

Dans d’autres cas, les processus de corrosion sont néfastes sur un plus long terme. Par exemple, la statuaire exposée en extérieur (comme les statues en bronze de Rodin) se corrode lentement en condition atmosphérique. Cependant, ce processus consomme progressivement du métal, ce qui rend l’œuvre moins lisible. Des opérations de restauration régulières sont nécessaires afin d’appliquer des traitements protecteurs hydrophobes à base de composés organiques. Ces traitements dérivent de l’application de protocoles industriels qui ne prennent en compte ni la présence de la couche de produits de corrosion ni l’effet de l’interaction entre la couche minérale et le composé organique protecteur, limitant l’efficacité dans le temps de ces traitements. Or, dans le cas spécifique des objets du patrimoine, il est nécessaire de prendre en compte la présence de cette couche et son interaction avec le composé organique utilisé. Ainsi, afin d’optimiser ces traitements pour le patrimoine, et de développer l’utilisation de composés non toxiques, des études sur les effets protecteurs de composés organiques (famille des acides carboxyliques) ont été menées sur des objets cuivreux corrodés sur une centaine d’années. Grâce à des marqueurs isotopiques simulant la pénétration de l’eau atmosphérique (eau deutérée), l’application de ce type de composés par immersion s’est révélée beaucoup plus efficace pour la protection contre la corrosion de ces échantillons anciens. Les méthodes d’analyses physico-chimiques ont ainsi montré tout l’intérêt de mieux comprendre les phénomènes en jeu sur des systèmes chimiques appliqués du patrimoine métallique. n


Glossaire


Eau deutérée : appelée également eau lourde ou oxyde de deutérium, elle est constituée des mêmes éléments chimiques que l'eau ordinaire (H2O) mais ses atomes d'hydrogène sont des isotopes lourds (deutérium).


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