Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Les papilles en orbite

Actualité | Idées et débats | Focus | Culture scientifique | Astrophysique | Matière & Univers | Physique | Chimie

SPECIAL FÊTES - REGARDS CROISÉS GOURMANDS

Les papilles en orbite


​A l’occasion des fêtes de fin d’année, plongez dans les délices galactiques de la série de vidéos gourmandes « Astronome – gastronome » co-produite par le CEA ! Une invitation à découvrir l’Univers avec des aliments mis en scène pour ressembler à s’y méprendre aux images extraordinaires des phénomènes cosmiques. Et avant de déguster ces vidéos culinaires ludiques, savourez d’abord cette rencontre poético-cosmique entre David Elbaz, astrophysicien au CEA, et la pâtissière Claire Damon, fondatrice de l’enseigne « Des Gâteaux et du Pain » et élue Meilleure Pâtissière Boutique de l’année 2018.

Publié le 22 décembre 2021

​Un objet céleste, c’est comme une pâtisserie, sa forme donne beaucoup d’indications ?

David Elbaz : On n’a jamais vu dans l’Univers deux objets qui soient les mêmes. Les galaxies ont toutes des formes différentes qui donnent des informations précieuses sur leur histoire. On a même découvert un satellite autour de la planète Saturne qui  a la forme d’une madeleine. On pense que la forme de cette madeleine conserve la mémoire de ses origines. Un peu comme la Madeleine de Proust qui nous ramène à une mémoire du passé.

Claire Damon : En pâtisserie, pour reprendre cet exemple de la madeleine, ce qui va donner cette forme caractéristique, ce petit dôme, c’est la forme du moule. Les bords sont beaucoup plus fins et au centre, il y a beaucoup de matière. En cuisant, la température va faire comme une sorte de ceinture autour de la matière qui ne va pas avoir d’autres choix que de monter. En pâtisserie, on sait qu’il nous faut exactement trois minutes pour créer cette ceinture d’où commencera à se développer le dôme. Tout se joue dans ces trois premières minutes !

David Elbaz : Cela veut dire que lorsqu’on observe la forme d’une madeleine, on observe différents temps de cuisson. La forme s’inscrit dans le temps. En astronomie c’est pareil. Quand on voit la forme d’un objet dans l’Univers, c’est comme si on voyait un film, tout en sachant que cela ne peut être que la photo d’un instant. Cela fait écho au temps de cuisson de la madeleine. Ce qui est amusant c’est que ces trois premières minutes de cuisson où tout se joue rappellent également les trois premières minutes de l’Univers, le moment où tout va se conditionner dans la soupe primordiale qui va donner tout le potentiel de l’Univers tel qu’on le connaît aujourd’hui.

VidéoInvitation au voyage gourmand


L’Univers et les pâtisseries sont-ils façonnés dans le même moule ?

David Elbaz : Les scientifiques se sont rendus compte que dans l’Univers, pour que naissent les galaxies où il y a des étoiles, des planètes, il fallait un ingrédient majeur, qui est une sorte de « moule ». Ces « moules cosmiques » sont totalement invisibles et on pense qu’ils sont faits d’une matière de nature inconnue et invisible qu’on appelle « la matière noire ». On n'est pas complètement sûrs qu’elle existe mais on pense qu’elle doit exister parce que sans elle, la « pâte de la galaxie » se disséminerait partout et il n’y aurait pas de galaxie. Je ne sais pas si en cuisine on peut réussir à faire quelque chose sans un moule par exemple.

Claire Damon : En pâtisserie, on a deux façons de créer des formes. La majeure partie du temps, on utilise un moule qui va donner une forme de cake, une forme de gâteau, de tarte, etc.
Son importance est capitale puisque, on l’a déjà évoqué pour les madeleines, il va donner cette forme de dôme, pour une tarte il va donner la forme ronde et permettre une certaine cuisson. Suivant la texture, le goût que l’on souhaite obtenir, on doit adapter notre moule. On ne choisira pas le même moule pour un cake si on le veut moelleux que pour une tarte que l’on veut croustillante.
Il y a d’autres techniques qui existent pour façonner la matière. Par exemple, à l'aide d'une poche où là, c’est la main du pâtissier qui va donner la forme.


Création pâtissière de Claire Damon pour le teaser de la série Astronome Gastronome

Création pâtissière de Claire Damon pour le teaser de la série Astronome Gastronome. © Claire Damon/G. Anhoury


David Elbaz : Dans l’Univers, c’est un peu similaire. C’est un des mystères sur lesquels je travaille justement en ce moment. On n’en est pas complètement sûr, mais on se rend compte que, parmi les galaxies qui nous entourent, certaines ont une grande concentration d’étoiles avec, au centre, un trou noir super massif. On pense que le trou noir est comme le cœur d’une madeleine, il garde la mémoire du passé, au moment où la galaxie est née. La matière des galaxies résiste à la gravité en tournant comme une danseuse dont la robe s’élève quand elle tourne. Cette robe, c’est le disque en spirale de la galaxie.

La chimie aussi a une part importante dans vos domaines respectifs ?

Claire Damon : Dans la pâtisserie, la chimie a son importance puisqu’une recette réalisée avec les mêmes ingrédients peut donner des résultats assez divers. C’est pour cela qu’en pâtisserie, on utilise beaucoup d’instruments tels que des réfractomètres, des densimètres, des PHmètres, pour mieux comprendre les ingrédients utilisés et suivre comment ces ingrédients vont réagir entre eux.

David Elbaz : Dans l’Univers, c’est pareil. La chimie des éléments a toute son importance. Parmi les atomes, certains vont se condenser pour former des grains de poussière. D’autres sont réfractaires et restent seuls. Toute cette diversité d’éléments donne lieu à une chimie dans l’espace interstellaire. La probabilité que deux atomes se croisent dans l’Univers est très faible. Mais ils vont pouvoir se rencontrer sur la surface des grains de poussière et donner naissance à une molécule. C’est comme cela que la plupart des molécules naissent. Tous ces mélanges qui se font dans l’Univers façonnent au final le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Claire Damon et David Elbaz

Claire Damon et David Elbaz lors du tournage du teaser de la série Astronome Gastronome. © A. Claisse/CEA


En cuisine comme en astrophysique, il y a parfois des grumeaux à gérer ?

David Elbaz : Il y a 13,8 milliards d’années, l’explosion de l’Univers, le big-bang, a eu un effet analogue à la cuisson d’un cake avec des raisins dedans. Pour nous, les raisins, ce sont les galaxies qui sont des petits univers avec des étoiles à l’intérieur. Et toute la métaphore, c’est qu’à mesure que le cake gonfle, l’espace se dilate et les raisins s’éloignent les uns des autres. Mais il y a des endroits où les raisins étaient trop près et ont formé une espèce de grumeau. En astrophysique, on appelle cela un amas de galaxies. Je ne sais pas si vous aussi vous rencontrez ce problème quand vous faites un cake ? Comment éviter que les raisins tombent ou créent des grumeaux ?

Amas de galaxies, sorte de grumeau de l'Univers

Claire Damon : Oui on peut rencontrer ce problème. D’ailleurs, pour éviter les grumeaux quand on réalise un cake aux fruits confits par exemple, on enrobe tous les fruits confits de farine. Cela va permettre de créer une accroche avec la matière et quand le cake va se développer, les fruits vont se répartir d’une façon homogène. Mais il faut vraiment les séparer et les enrober assez régulièrement.

Cela vous arrive-t-il souvent de faire des analogies culinaires lorsque vous observez l’Univers ?

David Elbaz : Quand on a cartographié l’Univers aux très grandes échelles, on a commencé à voir où était distribuée la matière dans l’Univers. Et on a eu la surprise de constater que cela ressemblait à quelque chose de connu. Quelque chose qui ressemble à une espèce d’éponge géante comme si on coupait dans un baba au rhum. Est-ce que ça vous parle le baba ? Est-ce qu’il y a un art de la création du baba ?

Claire Damon : Oui il existe un art de création du baba. Cette consistance spongieuse que nous -pâtissiers- appelons "aérée", fait appel à une technique bien particulière. Pour créer cette consistance au baba, il faut créer un réseau, et pour créer ce réseau, cela requiert un pétrissage propre à cette recette qui consiste à incorporer le liquide dans la farine avec un crochet, c’est-à-dire une forme spirale, et l’incorporer d’une façon régulière et assez lente pour lui donner toute cette élasticité qui va donner cette mie qui va pouvoir être capable d’imbiber tout le sirop caractéristique du baba au rhum.

Est-ce que tout affaire d’équilibre dans vos domaines respectifs ?

David Elbaz : Dans l’Univers, les formes naissent à la suite d’une compétition entre la gravité, qui tend à tout concentrer en un point, et le mouvement, comme les galaxies qui dansent sur elles-mêmes et ainsi résistent à la gravité. Tout est une question d’équilibre, de juste milieu. Même quand une étoile explose, et dissémine de la matière, elle provoque l’effondrement d’un nuage qui donne naissance à une autre étoile. On pense que le Soleil est né ainsi. Je ne sais pas si en cuisine aussi il faut respecter un certain équilibre pour que tout ne s’effondre pas ?

Claire Damon : En pâtisserie, notre grand souci, c’est la conservation des textures des produits que nous fabriquons. Si on prend l’exemple des sablés : ils doivent être croustillants, c’est-à-dire assez secs. Pour autant, quand on les met dans une pièce, ils vont capter l’humidité de celle-ci. Le taux d’hygrométrie du sablé (quantité d'eau contenue dans la pâte) va tenter de s’approcher de celui de l’air ambiant et vice versa. Il va donc y avoir une régulation, une stabilisation et un transfert d’humidité. Ce qui ne nous arrange pas du tout car les sablés perdent alors leur « croustillant ». Pour éviter ce phénomène, on doit emballer nos sablés dans des boîtes ultra hermétiques. Et pareil, quand on conçoit une tarte le matin, la pâte est très sèche, assez croustillante, la mousse ou la crème qui la remplit va être très onctueuse, très moelleuse. Et puis au fil de la journée, plus on avance dans le temps, plus la pâte va prendre l’humidité de la crème et plus la crème va s’assécher. C’est une vraie difficulté pour nous.

Visuel de la maison de pâtisserie Des Gâteaux et du Pain de Claire Damon.

Pour conserver leur « croustillant », les sablés doivent être emballés dans des boîtes hermétiques. © Maison de pâtisserie "Des Gâteaux et du Pain" / Claire Damon



David Elbaz : Un peu comme le sablé ou la pâtisserie, mais à des échelles de temps différentes, dans l’Univers, tout change et évolue en permanence.


Dégustez les premiers épisodes de la série Astronome Gastronome :

Invitation au voyage gourmand (11 documents)


Haut de page

Haut de page