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Quand les électrons partent en vrille


Comme nos mains, certaines molécules ne sont pas superposables à leur image miroir. Identifier ces molécules droites ou gauches, qu’on dit « chirales », est une étape cruciale de nombreuses applications en chimie et en pharmaceutique. Une équipe de recherche internationale  (INRS/ MBI/CNRS/CEA/Université de Bordeaux) présente une nouvelle méthode très originale pour y parvenir. Les chercheurs font bouger les électrons des molécules dans une direction à l’aide d’impulsions laser ultracourtes, ce qui révèle cette caractéristique moléculaire. Les résultats de ces expériences réalisées à Bordeaux au Centre lasers intenses et applications-(CELIA, CNRS/Université de Bordeaux/CEA), sont publiés dans Nature Physics, le 19 février 2018.


Publié le 19 février 2018
Les gauchers le savent : de nombreux objets sont conçus pour être manipulés avec la main droite et ne conviennent pas à la main gauche. Pour les molécules, ce type de phénomène se produit également: certaines réactions biochimiques sont spécifiques à une seule des deux versions d’une molécule, appelée «énantiomère». En conséquence, certains médicaments doivent leur efficacité uniquement à un de leur énantiomère, l’autre pouvant même être toxique dans certains cas.
 
Au grand dam des chimistes, il est très difficile de reconnaître les énantiomères dont les différences intrinsèques sont aussi subtiles que celles existant entre une personne et son reflet dans le miroir. On parvient à les distinguer uniquement lorsqu’elles interagissent avec un autre objet chiral, comme un gant permet d’identifier si la main qui s’y glisse est droite ou gauche.

On connaît la chiralité moléculaire depuis les travaux de Pasteur, au 19e siècle, sur des cristaux chiraux. L’exemple le plus célèbre est probablement l’ADN, dont la structure ressemble à un tire-bouchon tournant vers la droite. De nombreuses autres molécules présentes dans le monde vivant sont également chirales. Habituellement, on détermine la chiralité en utilisant de la lumière « circulaire » dont le champ électromagnétique tourne dans le sens horaire ou antihoraire en formant des spirales gauches ou droites. Cette lumière chirale est absorbée différemment par les énantiomères d’une molécule. La différence est cependant très ténue, car la longueur d’onde de la lumière dépasse largement la taille des molécules; la spirale de la lumière est trop grande pour que la molécule « perçoive » le sens de sa rotation efficacement.

Il en va autrement avec la nouvelle méthode présentée par l’équipe constituée de chercheurs du Centre lasers intenses et applications (CELIA, CNRS/Université de Bordeaux/CEA), en collaboration avec le Max Born Institute, le synchrotron SOLEIL, le Laboratoire interactions, dynamiques et lasers (LIDYL, CNRS/CEA)et l’INRS. Cette dernière amplifie grandement le signal chiral. « Pour y arriver, des impulsions laser ultra-brèves et polarisées circulairement sont envoyées sur des molécules chirales » explique Samuel Beaulieu, doctorant en sciences de l’énergie et des matériaux à l’INRS et premier auteur de l’article.

mouvement de spirale des électrons excités par laser (c) INRS.jpg

Suite à une excitation par une impulsion laser ultra-brève polarisée circulairement, les électrons excités de la molécule décrivent un mouvement de spirale, dont le sens dépend de la chiralité, droite ou gauche, de la molécule. © INRS


Les impulsions laser utilisées durent seulement quelques millionièmes de milliardièmes de seconde et transfèrent leur énergie aux électrons des molécules. Les électrons ainsi excités décrivent un mouvement circulaire dans le sens de la lumière excitatrice, tout en restant liés à la molécule. La molécule transforme alors ce mouvement circulaire en une spirale vers l’avant ou vers l’arrière, selon sa chiralité, comme un écrou sur un boulon. Ayant une taille similaire à celle de la molécule, la spirale électronique permet d’en sonder les propriétés géométriques telles que la chiralité.

À son tour, la spirale peut être détectée à l’aide d’une seconde impulsion laser suffisamment courte pour capter la direction dans laquelle l’électron part en vrille. Selon qu’ils bougent suivant le sens horaire ou antihoraire, les électrons seront éjectés dans la direction de propagation du faisceau laser ou en sens opposé.

Les chercheurs ont nommé cette nouvelle méthode le dichroïsme circulaire de photoexcitation. Elle permet d’initier et de suivre dans le temps les dynamiques ultrarapides dans les molécules chirales. En plus de son intérêt fondamental, cette technique à la frontière du domaine de la « physique moléculaire aux temps ultra-courts » pourrait être extrêmement utile dans des domaines tels que la chimie, la biochimie, la catalyse ou la pharmaceutique pour lesquelles la chiralité est un enjeu central.

Maintenant qu’ils ont appliqué leur méthode avec succès sur des molécules chirales complexes, les chercheurs se penchent sur le développement d’approches pour séparer les molécules gauches et droites en phase gazeuse en mettant à profit leur découverte.

À propos de la publication

Les recherches de Samuel Beaulieu sont sous la direction de François Légaré, professeur à l’INRS, et de Yann Mairesse, chargé de recherche au CNRS. Samuel Beaulieu, A. Comby, D. Descamps, B. Fabre, G. A. Garcia, R. Géneaux, A. G. Harvey, François Légaré, Z. Mašín, L. Nahon, A. F. Ordonez, S. Petit, B. Pons, Yann Mairesse, Olga Smirnova et V. Blanchet ont participé à cette publication qui a bénéficié du soutien financier de l’Agence Nationale pour la Recherche (France), de l’Université de Bordeaux, de la Fondation allemande pour la recherche, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, de la Coopération européenne dans le domaine de la recherche scientifique et technique et du Conseil européen de la recherche.
Les auteurs de cette publication sont affiliés à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), à l’Université de Bordeaux, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) , au Synchrotron Soleil et à l’Institut Max Born.



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