Pourquoi des réacteurs nucléaires à neutrons rapides ?
Pour des raisons de physique, les réacteurs de 4e génération à neutrons rapides offrent des avantages pour l’économie de ressources en uranium et le recyclage des matières valorisables, en particulier du plutonium.
En effet, dans les réacteurs à eau actuels du parc français (REP), seule une petite partie de la matière première, l’uranium 235 (isotope minoritaire de l’uranium naturel), est utilisée pour produire de l’énergie. Les 8 000 tonnes d’uranium naturel importées chaque année par la France servent à produire 1 000 tonnes d’uranium enrichi pour alimenter les centrales. Le reste, soit 7 000 tonnes d’uranium appauvri, est entreposé, en vue d’une utilisation future dans les réacteurs de 4e génération. Ces stocks, qui ne peuvent pas être utilisés dans les réacteurs du parc actuel, représentent aujourd’hui plus de 270 000 tonnes. De plus, les matières valorisables (uranium et plutonium), issues du combustible usé des centrales actuelles, sont traitées puis recyclées, entre autres en combustible MOX (Oxyde mixte d’uranium et de plutonium). Celui-ci ne peut être utilisé efficacement qu’une seule fois dans les réacteurs à eau actuels.
Les réacteurs à neutrons rapides (RNR), au contraire, peuvent consommer intégralement l’uranium naturel (dont l’uranium appauvri) alors qu’aujourd’hui on ne sait en consommer que moins de 1 %. En permettant de valoriser la totalité de l’uranium extrait du sol, ils multiplient par un facteur proche de 100 l’énergie que l’on peut extraire d’une masse donnée d’uranium naturel. Ils peuvent utiliser sans limitation tout le plutonium produit par le parc actuel de réacteurs, ou par eux-mêmes ; ce qui permet d’en assurer, par multirecyclage, une gestion rationnelle et pérenne. Par ailleurs, les RNR offrent également la possibilité de
transmuter certains éléments les plus radiotoxiques contenus dans les déchets ultimes. Il serait ainsi possible d’envisager une réduction d’un facteur 10 de l’emprise de la zone de stockage des déchets de haute activité à vie longue, avec, au bout de 300 ans, une diminution jusqu’à un facteur 100 de la
radiotoxicité contenue dans ces déchets. Les RNR représentent donc la composante clé d’une stratégie de cycle fermé du combustible, permettant de gérer efficacement les matières valorisables présentes dans les combustibles usés, d’abord ceux du parc de réacteurs actuel, puis ultérieurement d’un parc homogène de RNR. Ils pourraient ainsi fonctionner pendant plusieurs milliers d’années en se passant totalement d’uranium naturel.
Chaîne blindée dédiée aux études sur le recyclage des combustibles usés © A. Gonin/CEA
Pourquoi s'intéresser aux réacteurs à neutrons rapides refroidis
au sodium ?
Le concept de réacteurs nucléaires à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-Na) est la filière de référence dans le monde pour les systèmes de 4e génération. Sa dimension internationale potentielle et sa maturité laissent envisager un déploiement industriel à l’horizon 2050. Cet objectif nécessite la qualification préalable, à une échelle représentative, des diverses avancées technologiques liées aux objectifs de performance assignés à la 4e génération de réacteurs nucléaires.
Le projet de démonstrateur technologique Astrid
En France, les études sur les systèmes nucléaires de 4e génération sont pilotées par le CEA autour du
projet de démonstrateur technologique de RNR-Na Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration). Il bénéficiera de l’expérience des RNR ayant déjà fonctionné dans le monde, tout en étant en rupture technologique avec eux. Sa puissance a été définie pour concilier flexibilité d’utilisation suffisante et représentativité au regard des principaux aspects industriels. Le projet Astrid est actuellement en phase d’étude. Celle-ci est menée en lien avec des partenaires industriels et permet des choix d’options technologiques particulièrement avancés, notamment en matière de sûreté et d’exploitabilité.
Parmi les avancées décisives réalisées, on peut citer par exemple :
Cœur innovant d'Astrid à sûreté améliorée. © CEA
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un cœur innovant naturellement résistant aux situations accidentelles, qui constitue une avancée essentielle, unique au monde, dans le domaine de la sûreté. Il permet de réduire la réactivité du cœur en cas de perte du refroidissement du réacteur, entraînant une augmentation de la température du sodium ;
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un récupérateur de cœur fondu (le corium) intégré à la cuve du réacteur, qui permet d’empêcher la radioactivité de s’échapper dans l’environnement en cas d’accident grave de fusion du cœur ;
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un système de conversion d’énergie qui n’utilise pas l’eau, mais un gaz, supprimant ainsi tout risque de réaction chimique entre l’eau et le sodium ;
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des dispositifs d’inertage (utilisation d'un gaz inerte comme l'azote pour supprimer les risques de réaction du sodium avec l'ar)
et de détection précoce de fuites qui suppriment les risques de feu de sodium ;
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des moyens multiples et redondants d’évacuation de la puissance résiduelle. Le réacteur peut utiliser l’air ambiant comme moyen de refroidissement, même en cas de perte des alimentations électriques et de la source froide ;
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La possibilité de réaliser des inspections et maintenances pendant le fonctionnement du réacteur ;
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des dispositions permettant d’augmenter le taux de combustion ainsi que la durée de cycles et de réduire la durée des arrêts pour le rechargement du combustible.
Innovations du démonstrateur technologique Astrid. © F. Mathé/CEA