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La simulation numérique

Simulation et industrie


L’industrie nucléaire est l’une des applications majeures de la R & D en simulation numérique. Au bénéfice de la performance comme de la sûreté.

Publié le 3 novembre 2014

Mieux répondre aux grands enjeux que représentent la compétitivité économique du nucléaire, la sûreté du fonctionnement et le développement durable.

Au CEA, une des applications majeures de la R & D en simulation numérique concerne l’indus­trie nucléaire. La simulation numérique permet de mieux répondre aux grands enjeux que représentent la compétitivité économique du nucléaire, la sûreté de fonctionnement et le développement durable (meilleure consommation des ressources, minimisation des déchets). Le gain de compétitivité passe par un accroissement des performances : l’augmentation de la durée de vie de la cuve des réacteurs ou l’augmentation du taux de combustion du combustible nucléaire par exemple.
Le renforcement de la sûreté passe par une meilleure connaissance des marges de fonctionnement par rapport aux conditions accidentelles. Le calcul des phénomènes physiques qui se produisent dans les installations nucléaires apporte une aide précieuse pour atteindre ces objectifs. L’approche est « multi-échelle » et débouche sur une meilleure connaissance des conditions de fonctionnement, à la fois globale (ensemble d’une installation) et détaillée (un composant comme une pompe ou un générateur de vapeur, ou un sous-ensemble d’un composant). Elle est aussi « multiphysique » dans la mesure où elle prend en compte l’interaction entre phénomènes physiques de nature variée.

Modélisation avec le code Trio-U des zones de mélange en différents points d’une maquette de réacteur
Modélisation avec le code Trio-U des zones de mélange en différents points d’une maquette de réacteur. © CEA+IRSN
Ces calculs doivent être validés par confrontation à des données expérimentales, qu’il s’agisse de programmes de recherche adaptés aux situations à traiter ou de données provenant des installations nucléaires elles-mêmes et mesurées en fonctionnement normal ou accidentel. À cet égard, l’accident de Three Mile Island aux États-Unis en 1979, où un défaut de refroidissement a provoqué la fusion du cœur d’un réacteur, a permis de relever de nombreuses données reprises dans les études sur la sûreté. Compte tenu de la variété et de la complexité des phénomènes à simuler, le nucléaire est fortement consommateur de moyens de calcul.

Des informaticiens, des physiciens, des numériciens et des expérimentateurs conjuguent leurs forces pour développer, valider et maintenir ces logiciels (ou « codes ») de calcul. Citons par exemple trois domaines qui font l’objet d’études continues et de développement de logiciels utilisés par les différents acteurs du nucléaire tant au niveau national qu’international et mobilisent les plus fortes ressources en machines de calcul : la thermohydraulique, la neutronique, les matériaux.

Une simulation au service des industriels et de
la sûreté nucléaire
Le développement de la plupart des logiciels de simulation est soutenu et parfois coréalisé avec EDF, Areva et l’IRSN. Ces logiciels sont donc conçus pour servir à la fois d’outils pour la R & D et d’instruments pour des applications industrielles. Certains d’entre eux sont livrés à des partenaires étrangers ainsi qu’à des industriels du monde non-nucléaire, car des disciplines comme la thermohydraulique ou la science des matériaux sont génériques, et des développements réalisés pour le nucléaire peuvent bénéficier à d’autres applications (comme le lanceur Ariane, par exemple).

simulation
© L. Godart/CEA


Simulation en thermohydraulique

La thermohydraulique est une discipline qui combine thermique et hydraulique, c’est-à-dire qu’elle étudie les relations entre l’énergie thermique (chaleur) et un fluide (par exemple de l’eau), qu’il soit à l’état liquide, vapeur ou sous forme d’une combinaison de ces états. On saisit l’importance de cette discipline pour les réacteurs nucléaires lorsqu’on sait que ceux-ci fonctionnent comme une chaudière. Pour les réacteurs à eau sous pression qui composent le parc français, le principe est de faire circuler de l’eau dans un circuit primaire fermé. L’eau s’échauffe lors de son passage dans le cœur du réacteur (lieu des fissions d’atomes d’uranium dégageant une importante énergie), puis se refroidit dans les générateurs de vapeur, où la chaleur est transmise à un circuit secondaire. Dans ce dernier, l’eau se vaporise et entraîne une turbine associée à un alternateur qui produit le courant électrique. Ainsi, l’eau fait office de caloporteur.

La thermohydraulique étudie les fluides à toutes les échelles : du microscopique (une goutte d’eau ou une bulle de vapeur de quelques millimètres) au macroscopique (l’ensemble d’un réacteur nucléaire, couvrant plusieurs dizaines de mètres). Selon l’objectif poursuivi et les contraintes imposées sur la précision requise, un calcul de thermohydraulique peut ou non combiner toutes ces échelles. Les calculs les plus fins sont aussi évidemment les plus longs. Les logiciels de thermohydraulique se fondent sur des modèles physiques qui s’expriment en équations et sont traduits en instructions logiques grâce à des méthodes numériques. Les modèles physiques sont établis à partir d’observations expérimentales. Les logiciels sont à leur tour qualifiés et validés par confrontation à des programmes expérimentaux. Ce sont :

  • d’une part, des expériences « analytiques », permettant d’étudier des phénomènes physiques isolés dans une configuration géométrique simplifiée ;
  • d’autre part, des expériences « globales » mettant en jeu une combinaison de phénomènes physiques dans une configuration géométrique complexe.


Interactions neutrons-matière

Répartition des flux de neutrons émis par le cœur d’un réacteur REP calculée grâce au code Cronos
Répartition des flux de neutrons émis par le cœur d’un réacteur REP calculée grâce au code Cronos. © CEA

La neutronique étudie le cheminement des neutrons lors des réactions de fission et de leur interaction avec la matière, en particulier dans les réacteurs nucléaires.
Rappelons que dans le cœur du réacteur sont insérés des crayons combustibles contenant de l’uranium et du plutonium. Des neutrons « bombardent » les noyaux d’uranium ou de plutonium, les cassent. Cette fission dégage d’importantes quantités d’énergie, ainsi que d’autres neutrons. Afin de réguler la production de neutrons et éviter que le cœur ne « s’emballe », des barres de contrôle ou des solutions font office d’absorbeurs de neutrons, ce qui permet de contrôler les réactions de fission. L’enjeu de la neutronique est de modéliser l’ensemble des interactions entre les neutrons et la matière. Il s’agit notamment de calculer non seulement la puissance totale d’un réacteur nucléaire mais aussi la puissance locale dans l’ensemble du cœur (représentant des milliards de noyaux d’uranium ou de plutonium). Pour les industriels qui demandent des logiciels aptes aux calculs fins et précis, l’objectif est de mieux connaître les marges de fonctionnement des réacteurs.

Les calculs utilisent des bases de données qui rassemblent les « données nucléaires de base », informations relatives à chaque interaction entre les neutrons et les noyaux des atomes. Ces données sont exploitées dans les équations de bilan des neutrons : d’une part, l’équation de Boltzmann qui décrit très précisément le bilan neutronique ; d’autre part, l’équation de Bateman qui décrit l’évolution isotopique des milieux radioactifs soumis au flux de neutrons. L’équation de Boltzmann est d’abord résolue très finement sur un motif élémentaire dans une représentation énergétique et géométrique très détaillée et pour différentes configurations de fonctionnement.

Puis, on en déduit les caractéristiques moyennes du motif ou d’un ensemble de motifs pour obtenir une représentation de tout le réacteur. C’est donc une démarche multi-échelle qui est mise en œuvre. Mais c’est aussi une démarche multiphysique, tous ces calculs de neutronique intégrant un couplage étroit avec la thermohydraulique, car le fluide environnant le combustible nucléaire modifie le spectre énergétique des neutrons.

Simulation de la cascade de déplacements des atomes 0,7/ 2,5/10,3 picosecondes après une collision avec un neutron

Simulation de la cascade de déplacements des atomes 0,7/ 2,5/10,3 picosecondes après une collision avec un neutron lors de l’irradiation d’un matériau. © CEA



Matériaux, un véritable défi

La prédiction du comportement des matériaux sous irradiation constitue un véritable défi.

Une des spécificités des matériaux du nucléaire est d’être soumis localement à des irradiations qui induisent une modification structurale à des températures très diverses. La prédiction du comportement des matériaux sous irradiation, qu’ils soient métalliques ou céramiques, constitue un véritable défi. On veut pouvoir anticiper l’évolution de leurs propriétés sur de longues durées : quelques années pour le combustible, quelques décennies pour la cuve et les internes des réacteurs, et quelques siècles pour les matériaux de confinement.
Prenons l’exemple des aciers d’une cuve de réacteur et de ses structures internes : ils sont soumis à un bombardement neutronique à des températures plus ou moins élevées. Ce jeu de billard atomique éjecte des atomes de leurs sites, créant parfois des défauts au sein de l’acier. La structure ainsi modifiée peut être fragilisée.

VidéoSimulation numérique pour l’énergie nucléaire

La simulation numérique s’avère un outil incontournable pour prédire le comportement de ces matériaux localement, globalement et sur de courtes ou très longues périodes.
Pour couvrir ces échelles de temps et d’espace, les outils de modélisation des matériaux se classent en quatre catégories qui concernent : la modélisation de la liaison chimique (modèles de cohésion), la modélisation à l’échelle atomique des événements rapides (dynamique moléculaire), la modélisation des cinétiques lentes de vieillissement (méthodes déterministes ou de Monte-Carlo) et le passage de la microstructure aux propriétés d’emploi.
L’ensemble des connaissances capitalisées dans ces outils permet d’avoir à disposition un véritable « laboratoire numérique ». Mais il est indispensable de valider ce laboratoire en comparant ces résultats à ceux obtenus par expérimen­tation sur des échantillons que l’on irradie sur mesure dans les réacteurs nucléaires de recherche comme ceux du CEA (Osiris aujourd’hui, le réacteur Jules-Horowitz dans le futur). La mise au point des modèles sous-jacents à ces outils s’appuie sur des irradiations de tout petits échantillons par des particules chargées disponibles sur des accélérateurs dédiés.