A l’ère où l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle s’accompagne de couts énergétiques exponentiellement croissants, une voie prometteuse consiste à exploiter le bruit thermique à température ambiante comme ressource de calcul ultra-sobre. Cette stratégie que la biologie semble déjà exploiter dans le cerveau — où le bruit aiderait les neurones à explorer et décider — a incité les chercheurs à concevoir des nano-composants bruités capables d’émuler des neurones au sein de puces électroniques dédiées au calcul. Pour ce faire, des nano-neurones de type mémoire magnétique ont été développés : les jonctions tunnel superparamagnétiques (SMTJs).
Les
SMTJs sont constituées d'une couche magnétique libre et d'une couche magnétique fixe, séparées par un isolant. L’orientation relative de l’aimantation dans ces couches, parallèle ou antiparallèle, correspond à deux états métastables séparés par une barrière d’énergie.
Dans cette étude, le design spécifique permet aux SMTJs d’être très sensibles au bruit thermique ambiant, à l’inverse des applications habituelles (mémoires et capteurs). En effet, de simples fluctuations thermiques peuvent inverser aléatoirement l'aimantation de la couche libre. Ainsi, ces SMTJs réagissent comme des neurones stochastiques binaires dont l’avantage est de consommer très peu d'énergie. Plus le temps d’attente moyen entre les renversements magnétiques est court, plus la vitesse de calcul est élevée.
Une équipe du
CEA-Irig/SPINTEC a mis en évidence expérimentalement des temps d’attente entre renversements d’aimantation dans des jonctions tunnel superparamagnétiques à aimantation perpendiculaire et miniaturisées à 50 nm de diamètre, purement induits par des fluctuations thermiques. La mesure requiert de très faibles courants permettant d’observer les changements d’orientation de la couche magnétique libre à l’échelle de quelques nanosecondes, une échelle de temps jusqu’à présent jamais observée dans ces systèmes.
Les temps d’attente moyens ainsi mesurés sont très inférieurs aux prédictions des modèles habituels, ce que les chercheurs interprètent théoriquement par une contribution importante de l’entropie, augmentant la probabilité de franchir la barrière d'énergie séparant les états magnétiques de la SMTJ. L’entropie traduit le nombre de configurations magnétiques accessibles par le système.
Dans les SMTJs à aimantation perpendiculaire, les états intermédiaires où l'aimantation bascule progressivement de l’orientation parallèle à l’orientation antiparallèle (et inversement) sont nombreux. Cela contribue à une large entropie, en augmentant le nombre de différentes manières de transitionner entre les états.
Figure © CEA
(a) Schéma d’une jonction tunnel magnétique. La couche libre peut être parallèle (P) à la couche fixe (vert), ou anti-parallèle (AP) (violet).
(b) Evolution temporelle de la tension dans une SMTJ montrant les temps d’attente entre renversements à l’échelle de quelques nanosecondes entre les états P (-2 mV) et AP (+2 mV).
(c) Schéma du paysage énergétique associé au renversement d’aimantation
Sous l’effet de la seule énergie thermique, des jonctions tunnel magnétiques perpendiculaires d’un diamètre de quelques dizaines de nanomètres seulement, basculent aléatoirement d’un état à un autre, avec des temps d’attentes moyens ultra-brefs, de l’ordre de la nanoseconde
En capitalisant sur ces fluctuations comme mécanisme de renversement d’aimantation, ce travail ouvre la voie à la mise en œuvre d’éléments stochastiques pour le calcul neuromorphique à très faible consommation d’énergie.
Financements
- ANR (StochNet PRIME SPOT)
- NSF (CCF-CISE-ANR-FET-2121957)
- The French RENATECH network
- The University of Liège (Special Funds for Research, IPD-STEMA Programme)
Collaboration
- National Institute of Standards and Technology
- Gaithersburg, Maryland
- USA University of Maryland
- College Park, Maryland, USA