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Le premier test de Bell avec des qubits supraconducteurs distants


​​​​Bell avait bel et bien raison : le principe de causalité locale est nul et non avenu. Du moins nul à 10-108 ! C'est ce que démontrent les physiciens de l'IPhT (CEA-CNRS) sollicités par le groupe d'Andreas Wallraff de l'école polytechnique fédérale de Zurich qui a réalisé une expérience exceptionnelle qui fera date. La première au monde à intriquer des qubits supraconducteurs séparés de 30 mètres ; pour un accès direct vers des applications de communication quantique et de calcul quantique distribué.

Publié le 10 mai 2023

De quoi parle-t-on ? Il y a donc ce principe de causalité locale que le physicien des particules John Stewart Bell avait remis en cause dès 1964. Selon ce principe, qui semble pourtant une évidence, la cause d'un évènement se situe exclusivement dans son environnement proche.

Or, ce principe impose des contraintes sur les corrélations qui peuvent être observées entre les mesures effectuées sur des systèmes distants : elles doivent satisfaire des « inégalités ». Ce sont elles que le physicien proposait théoriquement de « violer », dans un test qui allait prendre son nom.

La « violation des inégalités de Bell » et le prix Nobel de physique 2022

Encore fallait-il être capable de parvenir expérimentalement à cette « violation des inégalités de Bell », que seule la physique quantique permettait selon Bell. La première expérience à la réussir fut celle de John Clauser en 1972. Bien que sujette à de nombreuses failles dans le protocole expérimental, appelées « échappatoires » (loopholes), elle permit de mettre en évidence le phénomène d'intrication quantique. S'ensuivit celle d'Alain Aspect en 1982, bien plus rigoureuse car limitant le nombre d'échappatoires. D'autres démonstrations suivirent, dont celle d'Anton Zeilinger en 1998. Finalement en 2015, une série de tests fermant toute​s les échappatoires furent conduits…. Et les trois chercheurs reçurent le prix Nobel de Physique 2022.

Si ces expériences avaient pour support des photons, des atomes uniques ou des « centres NV » (type de défauts ponctuels dans un cristal), celle menée par Andreas Wallraff et son équipe utilise des qubits supraconducteurs. « Il s'agit d'« atomes artificiels » imprimés sur un matériau supraconducteur. C'est déjà une prouesse en soi : cela exige un très grand savoir-faire technologique, notamment en cryogénie car ces systèmes supraconducteurs ne fonctionnent qu'à très basse température », explique Nicolas Sangouard, physicien à l'IPhT.


Détail de l'expérience d'intrication quantique

L'expérience consiste à attribuer deux de ces atomes artificiels à deux protagonistes, Alice et Bob, séparés par un long canal de 30m ; de les intriquer puis de les mesurer simultanément pour déceler la violation d'une inégalité de Bell entre ces mesures pourtant distantes. Précisément :

  • L'atome d'Alice est préparé dans l'état d'énergie « e », puis illuminé faiblement avec un pulse micro-onde.
  • Si l'atome d'Alice est excité par ce pulse micro-onde, il retombe dans l'état « g » en émettant un photon.  Sinon, il reste alors en énergie « e » sans émettre de photon. Or selon le principe de superposition quantique, il y a la possibilité d'avoir ces deux états simultanément :  atome en « g » avec un photon / atome en « e » sans photon. On parle alors d'état intriqué entre l'atome et le photon.
  • Ce même photon est envoyé 30m plus loin au système de Bob dont l'atome est préparé dans l'énergie « g ». S'il y a un photon (Alice en « g »), l'atome de Bob l'absorbe puis tombe dans l'énergie « e » ; s'il n'y en a pas (Alice « e »), Bob reste en « g ». Ainsi se retrouvent intriqués les atomes artificiels d'Alice et de Bob.

La maturité technologique des qubits supraconducteurs

C'est lors de la mesure de l'état d'énergie de chacun de ces deux systèmes intriqués que les corrélations quantiques apparaissent ; mesure effectuée avec une simultanéité de l'ordre de la dizaine de nanosecondes. Et cela 220 fois, c'est-à-dire lors de 1 048 576 mesures ! « Un volume de données qui nous a permis de borner la probabilité d'une erreur statistique à 10-108, c'est-à-dire 0 suivi de 107 zéros après la virgule », indique Jean-Daniel Bancal, chercheur à l'IPhT, qui insiste sur ce niveau de confiance remarquable, tous supports matériels confondus (photons, atomes et centres NV).

« Cette expérience est formidable à plus d'un titre. Déjà, d'avoir généré au niveau d'Alice une intrication entre un atome et un photon. Ensuite, d'avoir conduit ce photon quasiment sans perte. Enfin, d'avoir intriqué et mesuré sans échappatoire les atomes artificiels d'Alice et de Bob à 30 mètres de distance, des atomes qui n'ont jamais interagi ​directement », s'enthousiasment les physiciens de l'IPhT. D'autant que cette expérience très fondamentale valide la maturité technologique des qubits supraconducteurs ; et ouvre la voie à des applications de cryptographie très avancées, que même un ordinateur quantique ne saurait violer !

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