Les électrolytes sont au cœur de technologies telles que les batteries, les supercondensateurs et les biocapteurs. À faible concentration, une théorie de Debye–Hückel prédit que les ions s’écrantent mutuellement sur une distance caractéristique — la longueur de Debye —
qui diminue avec l’augmentation de la concentration. Cependant, à des concentrations plus élevées, des expériences de SFB ont révélé des longueurs d’écrantage qui
augmentent de façon inattendue avec la concentration, atteignant plusieurs dizaines, voire centaines, de diamètres ioniques. Ce résultat surprenant est en contradiction avec les simulations et la théorie, soulevant des questions fondamentales sur les interactions électrostatiques dans les électrolytes complexes.
En utilisant des simulations de dynamique moléculaire à grande échelle sur un électrolyte modèle, le tétrafluoroborate de lithium dissous dans le carbonate d’éthylène, les auteurs ont exploré de manière systématique les propriétés structurelles, diélectriques et de transport sur une large gamme de concentrations. La comparaison directe avec les expériences de SFB a révélé deux échelles distinctes : une longueur d’écrantage électrostatique qui
diminue avec la concentration et une échelle croissante associée à la taille de
domaines ioniques. La décroissance à longue portée observée expérimentalement est ainsi attribuée à la croissance de ces domaines, et non à des forces électrostatiques étendues, fournissant une explication cohérente et sans paramètre ajustable.
Ce travail résout une divergence de longue date entre théorie, simulations et expériences, en montrant que l’écrantage anormal reflète la
formation collective de structures ioniques. Au-delà de l’élucidation d’un puzzle fondamental, ces résultats ouvrent la voie à la conception d’électrolytes avancés pour les technologies de stockage d’énergie et de détection de nouvelle génération.
Cette recherche a été menée en collaboration avec l’Université de Ioannina, en Grèce. Elle a été soutenue par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du programme France 2030 (projet ANR-22-PEBA-0002) et par le projet MoveYourIon (ANR-19-CE06/0025).

Figure : Configurations représentatives issues de simulations de dynamique moléculaire aux concentrations de sel indiquées, avec les cations Li⁺ en rouge, les anions BF₄⁻ en bleu et les molécules de carbonate d’éthylène en gris. À mesure que la concentration en sel augmente, les ions isolés fusionnent pour former des amas plus importants, conduisant à la formation d’un réseau percolant, puis à une séparation de phases. © CEA