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Décryptage SF

Pourquoi n’y a-t-il pas de panneaux photovoltaïques dans l’œuvre Dune ?


​L’intrigue de Dune, l'œuvre de science-fiction publiée par Frank Herbert en 1965, adaptée une première fois au cinéma par David Lynch en 1984 et tout récemment par Denis Villeneuve, se passe sur Arrakis, une planète à l’environnement désertique particulièrement hostile : températures extrêmement élevées, soleil de plomb, tempêtes de sable dévastatrices… sans oublier les terribles vers des sables. Sur cette terre aride, les sources d’énergie, mais aussi l’eau ou la précieuse Epice, sont rares. Une seule source semble disponible en quantité, sans être pour autant exploitée : l’énergie solaire. Comment expliquer ce paradoxe ? Eléments de réponse avec Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA et qui a dirigé l’ouvrage « Dune, Exploration scientifique et culturelle d'une planète-univers », paru en 2020 aux Editions Le Bélial. 

Publié le 21 décembre 2021

​En quelques mots, pouvez-vous décrire cette planète Arrakis de l’œuvre de SF Dune ?

Tout comme la Terre, Arrakis a un soleil, nommé Canopus. C’est une étoile géante bleue qui existe vraiment - elle est située dans la constellation de la Carène. Elle a la particularité d’être plus grande que le Soleil puisque son rayon est environ 70 fois supérieur. Comme sa température est de 7 500 degrés Kelvin, elle est aussi 15 000 fois plus lumineuse. Cela laisse supposer qu’Arrakis doit en être plus éloignée de son étoile (d’environ 120 fois) que la Terre du Soleil, mais dispose néanmoins d’une grande quantité de lumière solaire. Compte tenu des caractéristiques de l’étoile et de sa distance avec Arrakis, on peut estimer cette quantité à environ 1 000 watts par mètre carré au sol. Par comparaison, en France, lors d’une journée très ensoleillée d’été, on peut atteindre 800 watts par mètre carré. Mais c’est une chose de recevoir de la lumière et une autre de savoir combien on peut en récupérer.

Et c’est là que se pose donc la question des panneaux photovoltaïques ?

En effet. Pour bien cerner le problème, il faut suivre le raisonnement développé par Daniel Suchet (Institut Photovoltaïque d'Ile de France - IPVF) dans son chapitre de l'ouvrage que j'ai dirigé. Cela commence par comprendre comment fonctionne un panneau photovoltaïque (PV). Ce dernier absorbe l’énergie solaire et la transforme en courant électrique. Les panneaux PV sont composés de cellules photovoltaïques  comprenant un matériau semi-conducteur (sur Terre, le silicium) dont la structure électronique est composée de deux couches. L'une de ces couches, appelée couche de conduction, ne contient pas d’électron, tandis que la deuxième, la couche de valence, en contient. Lorsque ce matériau est frappé par les photons provenant de la lumière solaire, les électrons « sautent » d’une couche à l’autre, ce qui permet le passage d’un courant électrique.


Sur Terre ou sur Arrakis, la lumière reçue contient des photons de toutes les couleurs, dont certains sont absorbables par le matériau semi-conducteur, d’autres non.


Combien d’entre eux vont être absorbés ? Cela dépend du seuil d’absorption du matériau choisi : si ce seuil est faible, un grand nombre de photons va être absorbé et le courant électrique généré sera important mais la tension sera faible, ce qui donnera une faible puissance électrique (car la puissance est égale au produit de l'intensité par la tension). Au contraire, un seuil élevé n’absorbe que les photons avec une énergie suffisamment élevée : la tension sera forte mais pas le courant, ni la puissance donc. L’idée est donc d'identifier, pour un spectre lumineux donné, le seuil qui permet d’obtenir la puissance maximum. C’est un compromis à trouver, qui se trouve entre ces deux extrêmes, et qui porte le nom d’optimum de Shockley-Queisser. 


En quoi consiste ce compromis et en quoi est-il déterminant pour l’installation de panneaux PV sur Arrakis ?

Ce compromis repose sur le spectre de la lumière reçue (qui dépend pour sa part de la température de l’étoile). Ainsi, sur Terre, le seuil optimum se situe dans l’infrarouge, autour de la longueur d’onde de 1 100 nm, ce qui donne un rendement maximum de l’ordre de 30 %. Or le matériau semi-conducteur dont le seuil est le plus proche de cette valeur est le silicium – très abondant sur Terre (en particulier sous la forme de silice qui se retrouve dans le sable). Du sable dont dispose aussi en masse Arrakis… Sauf que le spectre de Canopus est décalé vers le bleu par rapport à celui du Soleil et contient moins de particules de basse énergie que le Soleil. Le rendement est plus élevé (environ 33%) mais le seuil optimum se situe lui autour de 850 nm (entre le visible et l’infrarouge). Et le silicium n’est dans ce cas plus le matériau le plus adapté : le gallium ou l’indium pourraient être plus appropriés. Or ils sont loin d’être aussi abondants que le silicium, puisqu’ils ne se retrouvent pas dans le sable. Les deux sont en effet présents en très petites quantités dans le milieu naturel – en particulier l’indium. 


Et la lumière n’est pas le seul paramètre à prendre en compte, la température joue également un rôle, tout comme la météo parfois tempétueuse de la planète ?

C’est exact. Sur Arrakis, il fait chaud, puisque les températures sont de l’ordre de 60°C. Or la chaleur diminue l’efficacité des panneaux, d’environ 0,5% par degré. C’est un peu contre-intuitif mais une région très ensoleillée mais très chaude ne sera pas forcément plus productrice d’électricité solaire qu’une région un peu moins ensoleillée mais plus froide. 
Enfin, en effet, les tempêtes Coriolis dévastatrices qui frappent la planète endommageraient gravement les panneaux solaires - il faudrait mobiliser une bonne partie de l’énergie produite par le panneau rien que pour le nettoyer. Toutes ces problématiques, couplées à d’autres problématiques telles que le stockage de l’électricité ainsi produite (pour pouvoir s’en servir lorsque la nuit tombe), sont donc autant d’hypothèses pouvant expliquer l’absence de panneaux PV sur Arrakis.  Arrakis est une planète à l’environnement désertique particulièrement hostile : températures extrêmement élevées, soleil de plom

Arrakis est une planète à l’environnement désertique particulièrement hostile : températures extrêmement élevées, soleil de plomb, tempêtes de sable dévastatrices… sans oublier les terribles vers des sables. © CEA/Getty

Les autres sources d’énergie sont rares et précieuses sur la planète. Pour tirer profit au maximum de chaque litre d’eau disponible, notamment, les habitants d’Arrakis, les Fremen, ont mis au point des combinaisons, les distilles, permettant de recycler près de 95 % de l’eau issue des fluides corporels. 
Enfin, il y a la précieuse Epice, qui ne se récolte qu’à la surface d’Arrakis, et qui est indispensable aux navigateurs lors de leurs voyages interstellaires – non pas pour faire avancer leurs vaisseaux, mais plutôt pour leur donner les capacités nécessaires à tout déplacement intergalactique. 


Dans votre livre, d’autres aspects de l’œuvre sont évoqués. Pouvez-vous en dire quelques mots ? 

Dans le livre que j’ai dirigé, l’idée était de parler de l’œuvre de Frank Herbert et de la planète Arrakis de façon aussi riche que possible. De nombreuses disciplines ont donc été convoquées, la physique bien sûr, mais aussi la chimie (pour parler de l’Epice), la biologie (afin de comprendre le cycle de vie des vers des sables), mais aussi la philosophie, la linguistique, la politique, la sociologie ou la littérature. C’était bien le moins pour discuter d’une œuvre que l’auteur de science-fiction Laurent Genefort a classé dans la catégorie des « livres-univers ».


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