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DECRYPTAGE – L’ŒIL DE L’EXPERT

Mondes virtuels : quand la science-fiction devient réalité !


Depuis des décennies, les mondes virtuels peuplent de nombreux scénarios de films et séries de science-fiction... Et révolutionnent chaque jour un peu plus le monde réel. Comment la science-fiction inspire-t-elle les chercheurs en technologies immersives ? Quels sont les avantages de ces technologies ? Faut-il en avoir peur, comme le laissent à penser certains films dystopiques sur le sujet ? Martin Courchesne, chef du Laboratoire de Simulation Interactive au CEA, en collaboration avec Alexandre Douin, expert sur le sujet, nous en dit plus.


Publié le 31 août 2022

La science-fiction : une source d’inspiration ?

Les films de science-fiction (SF) nous servent dans notre roadmap technologique et nous apportent des pistes à explorer. Nous avons tous des références de SF en tête. Inconsciemment, elles nous inspirent et nous essayons de les répliquer, de les concrétiser.

Le top 4 films et séries de SF parlant de mondes virtuels qui vous inspirent ?

  • Matrix , des sœurs Wachowski (1ère sortie en 1999). Avec la célèbre Matrice, univers virtuel conçu par des intelligences artificielles et dans lesquelles les machines asservissent les humains à leur insu.
  • Clones (Surrogates), de Jonathan Mostow, sorti en 2009. Dans ce monde futuriste, les individus font usage d’une version robotisée d’eux-mêmes qu’ils pilotent à distance pour tout faire à leur place.
  • Ready Player One, de Steven Spielberg, sorti en 2018. En 2045, une partie de la population passe le plus clair de son temps dans l’OASIS, univers virtuel et addictif, fuyant ainsi un monde chaotique, un casque de réalité virtuelle en permanence sur les yeux.
  • Upload, série de Greg Daniels, sortie en 2020. Les humains, avant de mourir, peuvent télécharger leur conscience dans un metaverse et continuer à vivre uniquement par la pensée.

Metaverse, pilotage à distance de robots, jumeau numérique... Ce n’est plus de la science-fiction !

Ce qui était autrefois de l’ordre de l’imaginaire commence à être tangible et réel.

Le metaverse ou métavers de « Ready Player One », c’est ce qu’est finalement en train de développer Meta, avec le même niveau d’immersion. Il s’agit uniquement d’un monde virtuel, dans lequel on va se plonger via un avatar et un casque de réalité virtuelle, pour entrer en interaction avec les gens, inviter des amis, faire des achats ou conduire des voitures par exemple. Dans ce metaverse, n’y a pas de contact avec le monde réel.

Dans « Ready Player One », les personnages peuvent faire des choses physiquement impossibles. Au CEA, nous développons des mondes virtuels au service de l’industrie, avec des lois physiques réalistes. Il n’y a pas d’opérateurs capables de s’envoler, d’Iron Man et de Thor dans les usines ! Nous développons ainsi des jumeaux numériques, soit des modélisations d’un système ou d’un objet (une ligne d’assemblage par exemple), que l’on développe en reproduisant d’abord ce qui se passe dans le monde réel.

Un jumeau numérique permet de répliquer des plateformes industrielles réelles pour former des individus à des opérations de maintenance ou d’assemblage via la réalité augmentée, en coopération avec des robots virtuels. Ces jumeaux numériques peuvent être aussi utilisés dans la phase de déploiement et de mise en route d’un système de production.

Le film « Clones » correspond à ce que nous cherchons à faire techniquement au CEA via notre projet de téléopération avec retour haptique. L’idée est de téléopérer à distance des robots humanoïdes qui pourraient être une réplique parfaite de nous-mêmes, grâce à des systèmes immersifs identiques à ceux employés pour les metaverses et des retours haptiques pour ressentir les efforts. Le toucher est en effet important dans les tâches de téléopération. Nous avons au CEA une interface permettant de téléopérer deux bras virtuels. Au bout de ces bras, nous disposons des gants à retour d’effort. Ce projet est dédié à des applications industrielles, notamment dans le nucléaire, pour téléopérer un robot qui va faire une intervention sur une machine ou de la maintenance sur un site réel, en interaction avec d’autres humains. On mélange donc les technologies immersives avec la robotique – cobotique. Très récemment, le Japon a fait cette expérience de téléopération sur un poteau électrique.

Des technologies au service d’un monde meilleur ou la concrétisation de films dystopiques cauchemardesques ?

Nous allons vivre indéniablement avec ces nouvelles technologies immersives. Les films dystopiques peuvent être perçus comme des enseignements sur tous les mauvais usages que nous pourrions en faire. C’est une sorte de retour d’expérience pour nous aider à anticiper les pires scénarios possibles ! Il est essentiel selon moi d’avoir un cadre éthique pour ces mondes virtuels. En tant que chercheurs, ingénieurs, nous tâchons d’avoir en tête cette dimension éthique et nous y pensons forcément lorsque nous concevons nos technologies, mais il ne faut pas non plus que cela bloque nos recherches, notre goût du challenge, notre capacité à relever des défis. Le cadre éthique n’est pas du ressort des chercheurs mais des gouvernements et organismes spécialisés qui peuvent accompagner les technologues, poser des limites et apporter des solutions.

N’oublions pas aussi tous les avantages de ces technologies ! Les technologies immersives couplées à de la robotique – cobotique ou encore les jumeaux numériques que nous développons permettent ainsi de sécuriser les postes de travail, d’améliorer la performance tout comme le confort des opérateurs dans le monde de l’industrie

Avec l’ENSAM, le CESI et le CNAM, nous travaillons par ailleurs sur un projet de métavers pour l’enseignement, doté de jumeaux numériques. Ce projet, intitulé « Jumeau d’enseignement numérique immersif et interactif (JENII) », permettra de rendre plus accessibles des plateformes physiques (un cours pourra être donné en même temps à Lille et Strasbourg), de former beaucoup plus d’étudiants sur des machines d’usinage assez rares parce que coûteuses, de démultiplier la capacité de l’apprenant à devenir acteur de son apprentissage parce qu’il pourra faire de la manipulation. A l’INSTN, école de spécialisation des énergies bas carbone et des technologies de la santé du CEA, nous avons déjà développé un jumeau numérique d’enseignement d’un réacteur qui permet de mieux visualiser des phénomènes physiques et des concepts difficiles à montrer sur le vrai système physique. Les élèves de l’INSTN peuvent notamment se rendre au cœur d’un réacteur virtuel, chose bien évidemment impossible dans le monde réel. Lors de la crise pandémique de Covid-19, les étudiants n’ont pu accéder aux plateformes physiques et plus personne ne pouvait manipuler. Si d’autres crises surviennent, l’enseignement virtuel de cette qualité s’avèrera alors d’autant plus nécessaire et précieux.

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