Répondre à une expression de besoins
Tout part de l’expression d’un besoin. Tout d’abord, quelle sera la mission du réacteur ? S’il faut produire de l’électricité, le combustible fonctionnera en régime continu et on privilégiera la puissance et la compacité du cœur. S’il est destiné à la recherche, nécessitant une succession de démarrages et arrêts et donc de bons échanges thermiques, le combustible sera façonné de préférence en plaques plutôt qu’en crayons. Par exemple, le
futur réacteur expérimental RJH utilisera des plaques cintrées assemblées en cylindres concentriques. De même, la conception des combustibles des futurs RNR passe par l’innovation. Ainsi, pour répondre aux exigences du projet de
démonstrateur technologique Astrid, une approche intégrée conception-dimensionnement-simulation a permis au CEA de proposer des combustibles nucléaires très innovants, brevetés, en particulier en termes de sûreté passive1.
Des études spécifiques sur la composition des matériaux combustibles
Dans le cas des combustibles du parc actuel de réacteurs à eau sous pression, le matériau fait également l’objet d’innovations, tel que l’explique Bruno Collard, chef de laboratoire au CEA : «
Les industriels nous sollicitent pour améliorer les performances tout en renforçant les marges de sûreté. » Ainsi, pour augmenter la proportion d’uranium fissile, et donc la durée d’utilisation, les chercheurs ont imaginé d’implanter des atomes de bore ou de gadolinium2 capables d’absorber les neutrons surnuméraires dans le combustible neuf. Il s’agit ainsi de maintenir le plus longtemps possible l’équilibre entre puissance dégagée et absorption des neutrons. Autre enjeu : réduire l’émission gênante des gaz de fission, notamment en augmentant la taille des grains afin que les gaz aient plus de trajet à faire pour en sortir.
1 Qui agit par les seuls effets de processus naturels (gravité, dilatation thermique), ne nécessitant donc pas de contrôle-commande ou d’alimentation électrique.
2 Poisons consommables
Appareil de diffraction DRX, unique en Europe, qui a nécessité cinq ans de développement pour pouvoir caractériser les matériaux d’actinides © CEA
Pour cela, les chercheurs ont proposé d’incorporer des éléments d’additions tels le chrome ou le nobium qui peuvent, de surcroît, présenter l’avantage de diminuer la corrosivité de certains produits de fission. « En revanche, c’est plus compliqué à fabriquer, donc plus cher. Il faut donc être sûr de l’intérêt de l’innovation. De manière générale, le concept final est toujours une affaire de compromis » admet Bruno Collard. C’est ainsi qu’a été choisi l’oxyde d’uranium car bien que sa conductivité thermique ne soit pas la plus élevée, il fait preuve d’une grande stabilité sous irradiation, gonfle assez peu et s’avère facile à produire.
Des procédés de fabrication classiques, néanmoins adaptés à des environnements particuliers
Une fois le concept défini, il faut réaliser le combustible nucléaire pour pouvoir le tester. Un savoir-faire que maîtrisent des équipes du CEA : « Notre objectif est, non seulement, de fabriquer le combustible, mais aussi de le caractériser à toutes les étapes du procédé », résume Meryl Brothier, chef de service à la Direction de l'énergie nucléaire du CEA. «
Nous pouvons aller de quelques grammes à plusieurs centaines, soit la limite basse de l’échelle industrielle », précise-t-il en insistant sur la nécessité de développer des procédés de fabrication industrialisables. D’autant que les conditions de manipulation ne sont pas les mêmes en fonction du type de combustible : «
le travail avec du plutonium implique une gestion et des précautions supplémentaires par rapport à celui avec de l’uranium ».
Dans les deux cas, le déroulement des opérations est le même : préparation des poudres de départ (broyage, mélange, tamisage), mise en forme dans des presses (pour obtenir les pastilles), frittage en four sous atmosphère contrôlée, éventuelle rectification géométrique. Bref, le procédé classique de fabrication d’une céramique ! « Plusieurs personnes ici ont fait l’école de céramique de Limoges », poursuit Philippe Prené, chef du département d'études des combustibles à la Direction de l'énergie nucléaire au CEA.
Des outils de caractérisation
pour des contrôles-qualité optimisés
De la matière première au produit final, tout doit être précisément caractérisé. Les chercheurs disposent donc de toute une batterie d’outils sophistiqués, qui distingue d’ailleurs le laboratoire d’une installation industrielle : analyses thermodifférentielle et thermogravimétrique, dilatomètres, céramographie. Avec, en plus, un dispositif de diffraction des rayons X unique en Europe pouvant déterminer la structure cristalline d’un matériau en température jusqu’à 1 800 °C-2 000 °C suivant l’atmosphère considérée.
La fabrication du combustible est alors achevée. Reste toutefois à le qualifier, en irradiant des pastilles dans un dispositif, et à caractériser les résultats de cette expérimentation.
Le combustible à l'épreuve de l'irradiation
Différentes démarches coexistent pour expérimenter les effets de l’irradiation sur les combustibles. L’une d’elle consiste à placer des pastilles voire des crayons dans un réacteur réel (expérimental comme Cabri, Phébus et bientôt le
RJH, ou du parc électronucléaire). Cela permet d’acquérir une connaissance du comportement global du combustible en situation représentative (exigée des autorités de sûreté). Mais, comme il importe également de pouvoir attribuer à une cause précise les effets constatés, d’autres expériences instrumentées sont nécessaires. Une démarche complémentaire utilise des expériences dites « à effet séparé ». Principe : soumettre le combustible vierge à des implantations/irradiations d’ion (sur des accélérateurs comme
JANNuS à Saclay ou le Ganil à Caen) pour reproduire la présence des produits de fission et les effets de l’irradiation, ou le placer dans un four pour explorer les effets spécifiques de la température. Couplées à des outils de caractérisation de pointe, comme le rayonnement synchrotron
3, ces expériences permettent de sonder le cœur de la matière.

Chargement des assemblages combustibles du cœur nourricier de Phébus PF au centre d'études de Cadarache. © CEA-IPSN