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Interview | Micro-nanotechnologies

Christian Glattli - Tous les lévitons mènent à Rome !

Spécialiste de nanoélectronique quantique, lauréat ERC à deux reprises, il a découvert expérimentalement les lévitons. Christian Glattli propose aujourd’hui une nouvelle manière d’encoder l’information binaire, avec l’avantage d’une transmission économe en bande passante. Les secteurs des télécommunications et de l’Internet des objets pourraient avoir fort à gagner de pareilles avancées. Retour sur une aventure très fondamentale.
L’étude très fondamentale du « bruit quantique dans les conducteurs quantiques » est votre domaine de prédilection. De quoi s’agit-il ?
J’étudie les propriétés quantiques de nano-conducteurs (nanoélectronique) ; notamment pour mettre en évidence les effets de cohérence quantique qui autorisent la superposition d’états quantiques dans ces conducteurs, c’est-à-dire qu’une particule peut se trouver simultanément dans deux états (ou plus). 

Cette superposition d’états intéresse la communauté car elle permet un traitement quantique de l’information en codant les états superposés comme les 1 et les 0 du langage binaire. Ce type de recherche donne également une nouvelle grille de lecture pour explorer de nouvelles propriétés quantiques de la matière.

Dans ce cadre, j’ai développé très tôt des mesures du « bruit quantique » qui se manifeste par des fluctuations dans la mesure d’un courant électrique. Il est difficile à mesurer car il est le plus souvent noyé dans le bruit parasite de l’instrumentation.


Ce bruit quantique est au cœur de votre projet MeQuaNo , objet d’une bourse ERC Advanced Grants en 2008. Vous l’aviez déjà étudié auparavant ; là, vous démontrez que sa mesure peut être un outil pour caractériser des électrons uniques…
L’objectif du projet fut de développer une façon nouvelle, efficace et performante d’injecter, à la demande, des électrons uniques dans un conducteur quantique, tout en utilisant le bruit quantique pour caractériser leurs propriétés. 

Il s’agit d’appliquer une impulsion de tension sur une durée suffisamment courte pour que le courant injecté se réduise à sa valeur minimale : l’injection d’un unique électron, porteur de la charge élémentaire. Si l’idée est simple, sa physique l’est beaucoup moins ! Un conducteur étant déjà rempli d’électrons, l’impulsion de tension électrique perturbe l’ensemble du système, excitant de nombreux électrons. Et l’injection d’un électron unique est alors source de bruit.

Avec mon équipe, nous avons montré que le bruit quantique permettait de mesurer le nombre total d’excitations produit par chaque impulsion, générant un bruit de l’ordre du femto-ampère par racine Hertz (pour des électrons injectés toutes les nanosecondes).


Et vous êtes parvenu à une très grande découverte, expérimentale, celle du léviton… 
Pour atteindre une injection d’électrons individuels idéale, c’est à dire qui ne créerait pas d’excitations supplémentaires, je me suis souvenu de travaux théoriques datant d’une vingtaine d’années.  Leonid Levitov, physicien d’origine Russe, maintenant au MIT USA, avait suggéré qu’une impulsion électrique au profil temporel approprié pouvait n’exciter qu’un seul électron. Nous avons réussi à produire cette impulsion et avons obtenu une particule faite d’un électron unique se propageant de manière idéale, sans aucune perturbation des autres électrons dans notre conducteur quantique. Nous l’avons baptisée Léviton.


Vos découvertes vous ont permis d’obtenir, en 2016, une ERC Proof of concept pour le projet C-Levitonics.  En quoi ont-elles un potentiel applicatif ?
En essayant de comprendre la nature de l’état quantique du léviton, je me suis aperçu d’une propriété importante : l’impulsion de tension module la phase d’une onde électronique de manière particulièrement remarquable. J’ai alors réalisé qu’on pourrait utiliser le même principe pour moduler la phase d’une onde électromagnétique classique de la même manière. 

Dans les communications digitales, de nombreux protocoles de codage des bits d’information sont utilisés en modulant la phase d’une onde porteuse. De ce fait, le spectre en fréquence associé à l’onde s’étale en-dessous et au-dessus de la fréquence centrale : en gros, il y a deux bandes latérales transportant la même information. La suppression de l’une d’elles n’altérerait en rien le signal transmis et optimiserait l’occupation spectrale, augmentant le débit ou le nombre d’utilisateurs et ainsi diminuant les coûts…. 

Le projet ERC C-Levitonics consiste à évaluer la modulation de phase de type « lévitonique »  qui a la propriété remarquable de générer, directement à l’émission, un signal modulé avec une bande latérale unique. Dans les téléphones portables, il existe plusieurs types de modulation suivant la qualité de réception du signal ; celle que je propose ne nécessiterait pas de changer de système mais seulement de logiciel. Avec Preden Roulleau, jeune physicien recruté lors de mon ERC (lui-même lauréat d’une ERC 2015), j’ai déposé un brevet et me suis associé à une équipe de Centrale-Supélec Rennes pour évaluer les performances de notre procédé. C-Levitonics découle d'un processus typique de « sérendipité », et montre une fois de plus l’intérêt de recherches très fondamentales qui souvent aboutissent sur des propositions concrètes.


Envisagez-vous de créer une start-up ?
Je suis actuellement en phase d’évaluation de différents secteurs applicatifs, tandis que la mise en contact avec des industriels se fera grâce aux experts du Bureau d’études marketing et stratégiques du CEA. Je n’envisage pas la création d’une start-up mais plutôt un transfert technologique vers un industriel. 

D’autres domaines que les télécommunications sont concernés. Et pourquoi pas aussi celui de la musique, des synthétiseurs. Par exemple, j’ai réussi à générer directement des accords majeurs ou de septième par modulation lévitonique de la seule note fondamentale. Grâce aux conseils de John Chowning de l’Université Stanford (USA), l’inventeur de la synthèse musicale par modulation de fréquence, je suis actuellement en relation avec Yamaha Music au Japon pour évaluer l’intérêt du procédé. 

La génération directe de signaux modulés à bande latérale unique pourrait avoir également des applications pour les radars et l’échographie-Doppler, afin de dépasser certaines limitations fondamentales dans la mesure des vitesses.


Que diriez-vous aux chercheurs tentés par l’aventure ERC ?
L’important est de proposer un projet très novateur et de faire sentir dans l’écriture du dossier l’enthousiasme ou son caractère exaltant. Après, c’est la loterie : parmi les rapporteurs, il suffit que l’un ne soit pas convaincu pour être recalé. Mais il ne faut pas se décourager car l’ERC est une occasion unique pour développer des projets ambitieux, hors des sentiers battus. C’est un moment privilégié où pendant cinq ans nos rêves deviennent possibles.

Christian Glattli, physicien à l’institut Rayonnement matière de Saclay (Iramis) du CEA
• 1986 : Entrée au CEA après une thèse d’Etat sur les cristaux d’électrons.
• 1996 : Première publication sur la mesure du « bruit quantique »
• 1998 : Prix Louis Ancel de la Société Française de Physique / Médaille d’argent du CNRS  /-Prix AGILENT de la Société Européenne de Physique
• 2010 : Lauréat d’une bourse ERC Advanced pour son projet Mequano
• 2015 : Lauréat d’une bourse ERC PoC pour son projet C-Levitonics


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Iramis
Centre : Saclay
Expertise : Nanoélectronique quantique