Maîtriser l'épaisseur du lithium métal : un enjeu clé
Les batteries tout-solide, c'est-à-dire intégrant un électrolyte solide en remplacement des électrolytes liquides actuels, représentent l'une des technologies de rupture les plus attendues dans le domaine du stockage électrochimique. Elles promettent des performances accrues, une durabilité améliorée et une sécurité renforcée, répondant ainsi aux exigences croissantes de l'électrification des transports et du stockage des énergies renouvelables.
Pour exploiter pleinement le potentiel de cette technologie, il est indispensable de remplacer l'électrode négative traditionnelle en graphite par une électrode en lithium métal (Li-métal). Ce matériau présente en effet la capacité spécifique la plus élevée et le potentiel rédox le plus faible parmi les électrodes connues, des atouts essentiels pour atteindre des densités énergétiques nettement supérieures.
Encore faut-il pouvoir déposer des couches de lithium très fines (inférieures à 20 µm), condition nécessaire pour :
- maximiser la densité énergétique de la cellule,
- réduire les coûts et l'impact environnemental,
- améliorer la sécurité des dispositifs.
Or, les procédés industriels actuels de laminage/calandrage ne permettent pas d'obtenir de telles épaisseurs de manière homogène et répétable.
Pour relever ce défi, plusieurs laboratoires du CEA, Saft (filiale de TotalEnergies) et Automotive Cells Company (ACC) ont uni leurs expertises dans le cadre d'un projet lancé en 2022. L'objectif : développer un procédé de dépôt de lithium métal par évaporation, capable de produire des électrodes minces (<20 µm), denses et lisses, tout en étant compatible avec une production industrielle.
Trois régimes de défaillance mis en évidence selon l'épaisseur du lithium métal
Grâce aux équipements de caractérisation adaptés à l'analyse du Li métal de la Plateforme de Nanocaractérisation (PFNC) du CEA, les chercheurs ont tout d'abord pu analyser finement les dépôts réalisés par évaporation au CEA Tech Nouvelle-Aquitaine, et observer des couches de lithium très denses, présentant une faible rugosité et une faible contamination de surface.

A gauche, image obtenue par microscopie à force atomique sous argon de la surface d'un échantillon de Li déposé par évaporation sur un feuillard de cuivre. Cette image montre la présence de joints de grains et de grains de Li débouchant en surface du Li. La rugosité obtenue est très faible, comparable à celle du feuillard sous-jacent.
A droite, image par microscopie électronique à balayage d'une coupe réalisée par faisceau d'ions focalisés en mode cryogénique à -140°C sur du Li déposé par évaporation sur un feuillard de cuivre. Cette image montre que le Li synthétisé est très dense.
Des travaux menés en parallèle ont permis de comparer les réponses électrochimiques d'électrodes de lithium de différentes épaisseurs, comprises entre 2 et 135 µm, dans un électrolyte liquide. L'objectif : identifier le compromis optimal entre la quantité de lithium utilisée et la durée de vie des cellules. Ces travaux ont mis en évidence, pour la première fois dans la littérature scientifique, trois régimes distincts de défaillance selon l'épaisseur de lithium :
- Pour des électrodes fines < 20 µm, la faible quantité de lithium devient le facteur limitant, entraînant une défaillance prématurée de la cellule.
- Pour des épaisseurs > 50 µm, c'est l'augmentation de la résistance à l'interface Li/électrolyte, liée à une consommation irréversible du lithium, qui conduit à la fin de vie. La tenue en cyclage est alors indépendante de l'épaisseur de l'électrode.
- Entre 20 et 50 µm : un comportement intermédiaire est observé, marquant une transition nette entre ces deux régimes.

Mise en évidence de trois mécanismes de dégradation de la batterie selon l'épaisseur de l'électrode en Li métal. Une électrode positive en LiNi0.8Mn0.1Co0.1O2 et un électrolyte liquide ont été utilisés.
Une voie de recherche à poursuivre
En combinant expertise scientifique et savoir-faire industriel, le CEA, Saft et ACC ont développé un procédé prometteur pour produire des électrodes de lithium métal ultra-minces par évaporation.
Cette avancée, combinée à une meilleure compréhension des mécanismes de défaillance, renforce la crédibilité de cette technologie pour les véhicules électriques, l'aérospatial et la défense. Prochaine étape avant d'envisager une industrialisation : développer des couches d'interface en rupture afin d'optimiser significativement la durée de vie des technologies à base de lithium métal.