Enjeux
Partout dans le monde, les biocarburants font l'objet de recherches intenses en raison du potentiel énergétique que représente la biomasse. Bien utilisée, la biomasse permettrait de réduire, et peut-être un jour de remplacer, la consommation de carburants pétroliers.
Les recherches poursuivent donc un triple objectif :
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Limiter les importations d'énergies fossiles. Dans un pays comme la France, le montant de ces importations représentait plus de 60 milliards d'euros en 2011, soit l'équivalant du déficit de notre balance commerciale ;
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Lutter contre le réchauffement climatique : produits localement, les biocarburants permettent de réduire de 25 à 90 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à l’utilisation d’un carburant produit à partir de pétrole. Leur généralisation devrait ainsi contribuer à atteindre l’objectif fixé par le Grenelle de l’environnement : diviser par quatre les émissions de GES d’ici 205 ;
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Diversifier les sources d'énergie pour anticiper la disparition inéluctable des ressources pétrolières.
Trois générations successives,
des agro-carburants
aux biotechnologies
La
première génération de biocarburants a émergé il y a vingt ans. Son principe : utiliser des
plantes riches en sucre (comme la betterave) ou en
amidon (comme la pomme de terre) pour produire de l’éthanol. Celui-ci est ensuite mélangé à l’essence dans des proportions variables. Les
plantes riches en huile (comme le colza ou le tournesol) peuvent, quant à elles, être transformées en un biodiesel qui est mélangé au diesel classique, actuellement à hauteur de 5% du volume. Cette première génération pose problème car elle concurrence des usages comme l’alimentation et la papeterie.
Les chercheurs travaillent actuellement au développement de biocarburants, dits de
deuxième génération, issus des parties
non alimentaires des plantes. On utilise des rémanents forestiers (les parties des arbres non utilisés par l’industrie du bois), des résidus agricoles (comme les tiges de maïs), des cultures à croissance rapide (comme le peuplier et l'eucalyptus), ou des déchets organiques (par exemple les boues de stations d’épuration). Cette biomasse est ensuite convertie en éthanol ou biodiesel. La filière n'est pas encore prête pour une utilisation industrielle, mais des démonstrateurs existent ou sont en projet.
Une troisième génération de biocarburants est encore à l'état de recherche, notamment à cause de son fort coût de production, de sa consommation énergétique élevée et de son faible rendement. Elle utiliserait non pas des plantes, mais des
microorganismes photosynthétiques, capables de produire naturellement des molécules à forte valeur énergétique.
Enjeux R&D
Deuxième génération :
passer à la production industrielle
Ces biocarburants seront produits à partir de la lignocellulose contenue dans certains végétaux à usage non alimentaire (résidus forestiers, paille de céréales, cultures spécifiques). Deux grandes voies de production sont en cours de développement :
- la filière biochimique pour la production d'éthanol ;
- la filière thermochimique pour la production de biodiesel et de kérosène.
Dans la
filière biochimique, on extrait la cellulose de la biomasse pour la transformer en glucose (sucre) grâce à des enzymes, bactéries capables de "digérer" et transformer la plante. Le glucose est ensuite fermenté à l'aide de levures pour obtenir de l'éthanol puis purifié dans une dernière étape, la distillation.
Le CEA focalise ses recherches sur la
filière thermochimique qui vise à transformer les végétaux en un gaz qui est ensuite converti en carburant, biodiesel pour moteurs de véhicules routiers ou maritimes, bio kérosène pour l’aviation. C’est la voie
BtL (biomass to liquid). Ses points forts :
- L'emploi de toute la plante, ce qui évite le conflit d’usages ;
- Un carburant à haute valeur ajoutée, directement utilisable sans adaptation du moteur ou du réseau de distribution ;
- Une faible émission de polluants ;
- La production de kérosène pour les avions.
Plusieurs projets de démonstrateurs préindustriels ont déjà vu le jour ou sont en projet. Ces recherches sont menées en étroite collaboration avec les industriels pour élaborer des procédés présentant le meilleur rendement d'un point de vue économique. En particulier, l’ajout d’hydrogène dans le procédé est exploré pour rendre compétitif le carburant produit.
Troisième génération :
des micro-algues très prometteuses
Demain, il ne sera peut-être plus nécessaire d’utiliser des plantes. Les biocarburants pourraient être produits directement dans des photo-bioréacteurs, où des micro-organismes photosynthétiques s’activeraient pour produire de l’huile à partir de nutriments comme le CO2 et la lumière ! Cette huile serait ensuite transformée en carburants de type biodiesel ou biokérosène.
Les recherches sur les biocarburants de troisième génération sont menées sur les centres CEA de Grenoble et de Cadarache. Depuis plus de dix ans, les chercheurs du centre de Cadarache sélectionnent les
microalgues ou cyanobactéries (une bactérie capable de faire de la photosynthèse) les plus prometteuses et étudient leur métabolisme.
La compréhension des mécanismes biologiques est une étape déterminante pour domestiquer ces micro-organismes. Les biologistes cherchent à trouver le meilleur compromis pour que
les micro-organismes sélectionnés produisent beaucoup et longtemps. Au niveau de la technologie, il faut passer du stade laboratoire à la production industrielle en optimisant la productivité des systèmes de production et en en diminuant les coûts.
Comment travaillent-les biologistes ?
* organismes obtenus par des modifications génétiques ciblées ou aléatoires
- Ils isolent des micro-algues dans leur milieu naturel (biodiversité naturelle) ou à partir de banques de mutants* générés au laboratoire (biodiversité induite) ou encore à partir de collections.
- Les microorganismes sont mis en culture (plongés dans des flacons remplis de liquide nutritif) pendant trois à quatre jours. A ce stade, ils mesurent 2 à 10 micromètres selon les espèces (5 à 20 fois moins que le diamètre d’un cheveu) et leur culture se présente sous forme d'une suspension liquide de couleur verte. Durant cette étape, les chercheurs contrôlent l'apport en gaz carbonique, la lumière, la température et mesurent la productivité en biomasse.
- Les microorganismes sont ensuite "stressés" en modifiant leur environnement et en limitant leurs apports nutritifs. Ils vont alors produire de l’huile. La majorité des recherches portent sur cette étape. Elles visent à
étudier la réaction des organismes, les évolutions de leur métabolisme et à analyser la qualité et les quantités de lipides produits. Tout en sachant que les exigences pour la composition de l'huile varient selon sa destination (moteur d'avion ou de voiture).
- Les lipides sont extraits des organismes. Aujourd’hui, les cellules sont simplement cassées (par "pressage"). Mais des méthodes d’extraction
moins énergivores sont à l’étude.
- L’huile récoltée est enfin transformée en biocarburant selon des procédés déjà bien connus.
La filière n’en est encore qu’à ses débuts mais porte l’espoir d’un carburant renouvelable qui ne concurrencerait pas les usages alimentaires. En sus de recycler le gaz carbonique, les cultures de micro-algues permettraient de recycler les eaux usées (riches en éléments nutritifs comme les nitrates ou les phosphates) tout en produisant un biocarburant à base de lipides.