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Résultat scientifique | Toxicologie | Impacts sur le vivant

Une neurotoxine marine, contaminant des produits de la mer, est capable de traverser les barrières physiologiques


Dans une étude parue dans Science of the Total Environment, des chercheurs du SIMoS (DMTS/CEA-Joliot), en collaboration avec la Faculté de Pharmacie de Paris et MIRCen (CEA-Jacob) ont montré pour la première fois chez un modèle animal la capacité de la Pinnatoxine-G, une neurotoxine marine, à traverser les barrières physiologiques pour atteindre ses cibles moléculaires.

Publié le 4 août 2021

La forte prolifération locale de certaines microalgues peut provoquer une coloration spectaculaire de l'eau (évènement dû à une soudaine forte concentration de pigments contenus dans le phytoplancton), détectable par satellite. Ce phénomène d'efflorescence algale dépend notamment de la température de l'eau. Son amplification actuelle à large échelle traduit de façon spectaculaire le réchauffement climatique planétaire et s'avère nuisible. Dans la plupart des cas, les espèces qui prolifèrent sont des dinoflagellés, dont certaines sont capables de produire des toxines (on parle de phycotoxines) paralysantes, neurotoxiques, amnésiantes, diarrhéiques, ou hémolytiques. Ces toxines s'accumulent généralement dans la chaîne trophique et peuvent être responsables chez l'Homme d'intoxications dues à la consommation de produits de la mer.

Parmi les phycotoxines susceptibles de constituer un risque sanitaire, se trouvent les pinnatoxines (PnTx) (A-H), une famille émergente de toxines lipophiles, appartenant au groupe des imines cycliques. Pour l'instant, aucune corrélation entre une intoxication par une PnTx et des effets neurotoxiques n'a été rapportée, expliquant que cette famille de phycotoxines n'est pas encore règlementée. Pour autant, l'augmentation de leur concentration dans les coquillages filtrant l'eau de mer pour se nourrir a conduit l'ANSES à mener récemment une étude fixant un seuil de contamination à ne pas dépasser (rapport ANSES 2019).

Les PnTx provoquent chez la souris des effets neurotoxiques aigus en cas d'ingestion à forte dose et possèdent un puissant effet antagoniste sur les récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine (nAChR). Afin de mieux caractériser et évaluer les effets potentiels d'une intoxication par les PnTx, les chercheurs du SIMoS, en collaboration avec des équipes de la faculté de pharmacie de Paris, de MIRCen et de l'Université de Californie (UCSD), ont étudié in vivo la capacité de la PnTx-G, produite par le dinoflagellé Vulcanodinium rugosum, à traverser les barrières physiologiques. La PnTx-G radiomarquée avec du tritium a été synthétisée avec une bonne pureté radiochimique et un rendement élevé tout en conservant la forte affinité de la toxine naturelle. L'administration par voie orale ou intraveineuse à des rats adultes a été suivie d'analyses par comptage et autoradiographie digitale, réalisées après exposition des animaux à la toxine marquée, afin de suivre sa bio-distribution et sa toxico-cinétique. [3H]-PnTx-G est rapidement éliminée du sang et s'accumule dans le foie et l'intestin grêle. Le marquage des tissus périphériques et cérébraux de rats adultes et d'embryons a mis en évidence sa capacité à traverser les barrières intestinale, hémato-encéphalique et placentaire. L'imagerie 3D à haute résolution et les études de compétition in vitro sur des sections d'embryons de rat ont révélé la spécificité de la liaison de la [3H]-PnTx-G et sa sélectivité pour les sous-types de nAChR musculaire et neuronaux, tels que le sous-type α7. La capacité de la PnTx-G à traverser la barrière placentaire a également été montrée par spectrométrie de masse quantitative sur un modèle de cotylédon humain perfusé ex vivo

Graphical Abstract Servent et al., Science of The Total Environment (2021), 790, 148125 


Ces résultats, publiés dans Science of the Total Environment, montrent pour la première fois le passage de la PnTx-G de Vulcanodinium rugosum à travers les barrières intestinale, hémato-encéphalique et placentaire. Ils soulèvent de nombreuses questions sur les mécanismes par lesquels les PnTx ciblent le système nerveux et ont un impact sur le système musculo-squelettique. Face au réchauffement climatique, il est urgent de poursuivre ces études éco-toxicologiques afin de mieux cerner le risque potentiel associé à la consommation de coquillages contaminés par PnTx-G sur la santé humaine.

Contact chercheur: denis.servent@cea.fr

Texte adapté de l'actualité publiée dans le fil ScoopIt SDV Paris-Saclay du 02/08/2021

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