Dans le cadre de ses propres programmes de recherche et de développement autour de l’assainissement et du démantèlement des installations nucléaires, les équipes du CEA ont développé un savoir-faire, une expertise et des compétences robustes sur le sujet. «
En accompagnant le Japon sur ce chantier, nous leur faisons bénéficier de nos compétences tout en développant des technologies et des procédés qui seront utiles pour les chantiers de démantèlement des installations en fin de vie », souligne Christine Georges, Responsable développement et partenariats internationaux à la Direction des projets de démantèlement, de service nucléaire et de gestion des déchets du CEA.
«
C’est le cas par exemple de la découpe laser, déjà utilisée en air à Marcoule pour la découpe des dissolveurs de l’usine d’extraction de Plutonium (UP1). Nous avons étudié son évolution sous eau spécifiquement pour le chantier de Fukushima, et nous pourrions l’utiliser dans les prochaines années, par exemple dans le cadre du démantèlement du réacteur Phénix au CEA-Marcoule ou du réacteur de recherche Osiris au CEA-Saclay. »
Comment s’organisent les collaborations avec le Japon ?
A partir de 2013, le ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie japonais (METI) a organisé des appels d’offres internationaux pour catalyser et maximiser l’aide internationale autour du chantier de démantèlement, et faire émerger les techniques les plus performantes. Le METI est aidé dans sa démarche par NDF (Nuclear Damage Compensation and Decommissioning Facilitation Corporation).
Pour apporter sa contribution et répondre à ces appels d’offres, le CEA s’est associé avec des industriels, comme Onet Technologies ou Orano, ou des instituts et organismes, comme l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire).
Les challenges auxquels le CEA contribue
Prototype industriel d'une tête laser immergeable pour la découpe sous eau, développé par le CEA et installé dans l’enceinte étanche DELIA du CEA-Saclay.
© I. Doyen/CEA
A travers les études et développements liés à
la découpe laser, le CEA, en lien avec Onet Technologies et l’IRSN, contribue à un challenge majeur du chantier :
l’extraction du mélange de combustibles et de débris divers issus des cœurs des réacteurs 1 à 3, qui ont fondu en 2011 sous l’effet de la chaleur et sont actuellement sous eau, sous la cuve, voire au fond de l’enceinte de confinement de ces réacteurs. Ce mélange, encore appelé «
corium », est constitué de combustibles fondus composés d’uranium et de produits de fission hautement radioactifs, et de divers autres matériaux rencontrés au passage qui diffèrent d’un réacteur à un autre : structures diverses, béton, etc. L’enjeu est crucial : tant que le corium ne sera pas récupéré, il ne sera pas possible de débuter le démantèlement des réacteurs 1, 2, et 3 du site de Fukushima Daiichi.
Or, la reprise du corium s’avère particulièrement délicate et ne peut se faire sans le développement de nouveaux procédés industriels.
A travers la vitrification des déchets induits notamment par la décontamination des eaux, le CEA, en lien avec Orano et ANADEC (joint-venture créée par Orano et ATOX, entreprise japonaise spécialisée dans les services nucléaires et de maintenance), contribue également à
un autre challenge d’une importance primordiale :
la gestion par traitement des eaux contaminées issues du refroidissement des réacteurs endommagés.
Reprise du corium :
études, essais, découpe et traitement
des aérosols générés
Des technologies innovantes de découpe laser téléopérée
La découpe laser téléopérée proposée aux Japonais est particulièrement bien adaptée aux opérations de découpe de forte épaisseur en milieu hostile. Elle permet de compléter la « boîte à outils » pour le retrait du corium et plus généralement pour le démantèlement des réacteurs. Pour que cette technologie fonctionne à Fukushima, il a par exemple fallu définir et concevoir des systèmes de découpe laser capables d’effectuer des découpes « non traversantes ». « Le corium étant très épais par endroits, le rayon laser ne peut pas passer directement au travers, comme c’est le cas pour une tôle par exemple », indique Ioana Doyen, ingénieure-chercheure au Laboratoire des technologies d’assemblages du CEA. Ces différentes expériences sont menées sur la plateforme ALTEA/DELIA au CEA-Saclay.
Découpe laser du corium sur la plateforme ALTEA/DELIA du CEA-Saclay. © CEA
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Des solutions pour le traitement
des aérosols
Efficace, la découpe laser du corium, génère néanmoins des aérosols qu’il faut quantifier et caractériser. Pour cela, le CEA, en lien avec l’IRSN, a mené des essais pour apporter des éléments de réponse aux Japonais sur les quantités et les tailles des aérosols générés lors de la découpe et sur les moyens de mitigation pour les piéger et ainsi limiter les risques liés à leur aérodispersion. Des échantillons représentatifs des différents types de corium, contenant des simulants non radioactifs des produits de fission, ont été fabriqués sur l’installation Plinius du CEA, à Cadarache.
Ces analyses et simulations ont permis de proposer des solutions pour les aérosols au plus près de la découpe, dont les efficacités ont été évaluées.
En parallèle, le groupement Onet Technologies /CEA/ IRSN conduit avec JAEA (Japan Atomic Energy Agency) un projet appelé « URASOL », visant à démontrer l’influence de l’uranium sur la production d’aérosols par différents procédés de découpe. Cette étude sur du corium « prototypique » faiblement radioactif, représentatif de Fukushima, est pour le moment menée à petite échelle, à Cadarache. Si ces résultats sont probants, le CEA pourrait proposer aux Japonais de faire des essais « grandeur réelle », en installant un système de découpe laser dans une installation du CEA.
Focus sur l'installation Plinius
Située à Cadarache,
Plinius est l’une des rares installations expérimentales au monde capable de fabriquer et d’étudier du corium dit prototypique. Porté à très haute température (2 000 à 3 000° C), il possède des propriétés physico-chimiques comparables à celles d’un vrai corium – si ce n'est qu’il n’est pas radioactif. Pour le fabriquer, les chercheurs font réagir par réaction chimique ou chauffage électrique des poudres d’oxydes d’uranium appauvri et d’éléments stables représentatifs des produits de fission (comme le césium 133 à la place du césium 134 et du 137).
L’installation Plinius est utilisée depuis plus de 25 ans au CEA dans le cadre de ses recherches sur le comportement du corium durant un accident grave, notamment ses interactions avec les barrières de confinement du réacteur.
Les enjeux autour de l’eau contaminée
La question du tritium
Des volumes considérables d’effluents contaminés ont été générés par les infiltrations dans les réacteurs endommagés et par les injections d’eau nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs et les piscines de combustibles usés. Depuis la mise en place, en 2016, d’un gigantesque mur de sol congelé autour des réacteurs, pour empêcher les écoulements d’eau souterrains de traverser les sous-sols de la centrale, le volume d’eau contaminée est passé de 400 m3 d’eau/jour en 2015 à 150 m3 d’eau /jour en 2021. Cette eau est pompée puis traitée en continu via divers procédés qui piègent l’ensemble des radioéléments, à l’exception du
tritium, avant d’être stockée dans des citernes et entreposée sur site. Ce sont actuellement 1,2 million de m3 d’eau tritiée qui sont stockés.
La question cruciale est désormais de savoir que faire de ces quantités d’eau, dont le stockage sur place continue à augmenter. Les rejeter à la mer ? Trouver des solutions technologiques pour en ôter le tritium ?
En 2020, un comité d’experts à l’AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) sur Fukushima s’est exprimé sur les options du devenir des eaux tritiées. Deux options sont présentées dans un
rapport public : le déversement dans l’océan (scénario de référence) ou l’évaporation.
Les déchets secondaires issus du traitement de l’eau contaminée
Le conteneur (au premier plan) et le four formé de deux demi-coquilles (à l’arrière-plan), et le dispositif de raccordement aux systèmes d’alimentation et de traitement des gaz (au-dessus de l’axe du four) du procédé DEM&MELT. Ces deux demi-coquilles se fermeront sur le conteneur et le raccordement du conteneur sera mis en place avant le début de la chauffe. © CEA
Depuis près de 3 ans, le CEA, Orano et ANADEC travaillent ensemble pour démontrer aux Japonais l’efficacité du procédé DEM&MELT (« Démanteler et fondre ») de
vitrification « In-can » pour conditionner les déchets secondaires issus du traitement des eaux de refroidissement des réacteurs de Fukushima contaminées avec divers radioéléments. «
Le verre est le conditionnement qui répondra le mieux aux futures normes de stockage profond de ces déchets », précise Maxime Fournier, chef de projet R&D pour l’assainissement-démantèlement au CEA.
Les essais sont conduits par le service de vitrification du CEA à Marcoule. Orano apporte son savoir-faire, étudiant l’industrialisation du procédé et sa mise en œuvre sur le site de Fukushima Daiichi. L’idée est de proposer le système le plus compact possible et capable de conditionner durablement une grande variété de déchets différents. Les procédés de vitrification sont développés par les équipes du CEA qui, depuis les années 1950, maîtrisent la formulation des colis de déchets vitrifiés. Ces colis répondent notamment aux exigences du stockage profond.
Ce procédé DEM&MELT, imaginé sur la base de travaux du CEA pour ses recherches, fait l’objet de développements menés par le consortium formé par le CEA, Orano et ECM Technologies dans le cadre d’un programme d’investissement d’avenir piloté par l’Andra. «
A terme, ce procédé sera également utile pour le conditionnement de déchets issus d’opérations de démantèlement en France destinés au stockage profond », ajoute Maxime Fournier.
La gestion des déchets issus
du démantèlement
Un des enjeux phares de ce chantier concerne
la gestion finale du corium et des autres déchets provenant du démantèlement.
Là aussi, le CEA, et plus globalement les différents acteurs français peuvent apporter leur savoir-faire et leur expérience : au niveau de la stratégie globale, des outils de suivi, des technologies de caractérisation, des procédés de conditionnement, ou encore de transport des déchets.
Le CEA est déjà impliqué dans des projets de gestion des déchets à Fukushima et notamment avec Orano et Onet Technologies pour proposer des études et solutions industrielles liées à
la caractérisation des déchets en vue de leur tri et de l’orientation vers la filière la plus adaptée.
Le CEA travaille également avec JAEA sur un projet de conditionnement de déchets solides irradiants dans des matrices géopolymères, matériaux permettant des taux d’incorporation de déchets plus élevés que le ciment Portland. Les essais sont conduits au CEA-Marcoule, grâce à l’irradiateur industriel Gammatec, afin de modéliser leur comportement dans le temps.
Ces savoir-faire et expertises de l’ensemble des acteurs français pourront être précieux dans les décennies à venir pour aider les Japonais à achever ce chantier pharaonique. En retour, les connaissances acquises dans ce cadre et qui drainent toutes les initiatives internationales dans ce domaine nourriront les programmes français.