Que faire des gigantesques volumes de terres contaminées autour de la centrale ? C’est pour répondre à cette question que le projet Demeterres (Développement de Méthodes bio et Ecotechnologiques pour la remédiation raisonnée des effluents et des sols en appui à une stratégie de réhabilitation post-accidentelle) est né. Piloté par le CEA aux côtés de partenaires académiques et industriels entre 2013 et 2020, il a recherché et développé des
« écotechnologies » dont celles basées sur les plantes et les mousses de flottation.
Des mousses pour dépolluer
Dans le cadre du projet Demeterres, le CEA a piloté, avec Orano et Veolia, la conception et mise en œuvre d’un procédé de traitement des terres argileuses contaminées par du césium radioactif via l’utilisation de mousses de flottation.
Cette technique, simple et robuste, permet de réduire le volume de terre contaminée en séparant les particules d’argile qui sont les plus chargées en césium, et ce, sans affecter la fertilité du sol. Elle est particulièrement adaptée au traitement de grands volumes de terres. Des essais de démonstration ont été effectués au Japon en novembre 2017 sur les terres contaminées de la Préfecture de Fukushima, avec des résultats positifs. « Nous avons ainsi divisé par 3,6 à 7,4 le volume de terre contaminée et la radioactivité par 1,5 à 3 », indique Maxime Fournier, chef de projet R&D pour l’assainissement-démantèlement au CEA.
Procédé de traitement des terres argileuses contaminées par du césium radioactif via l’utilisation de mousses de flottation. © CEA
Le développement des mousses de flottation se poursuit avec le nouveau programme Demeterres MOUSSE. Les partenaires du programme, le CEA, Orano, Veolia et l’IRSN visent désormais l’industrialisation de la technologie pour préparer le traitement des terres contaminées après l’accident de Fukushima et la dépollution d’anciens sites nucléaires en démantèlement. De plus, les données scientifiques acquises au cours du projet permettront le développement d’outils d’aide à la décision renforçant la doctrine post-accident radiologique française en analysant la balance coûts-bénéfices de différentes stratégies de décontamination des territoires.
Des plantes pour décontaminer
Toujours dans le cadre du projet Demeterres, les chercheurs du CEA ont également développé, sélectionné et modifié des espèces végétales, vis-vis de leur comportement face au césium radioactif présent dans le sol. Certaines sont désormais hyper-accumulatrices, comme la plante modèle,
Arabidopsis thaliana, qui arrive à accumuler et stocker le césium au niveau de ses feuilles. D’autres sont capables de se développer en limitant l’absorption du polluant, ce qui permet leur consommation ou leur utilisation pour la production de biomatériaux comme des isolants pour les bâtiments par exemple. C’est l’approche dite « safe-food » et « safe-use », menée avec des modèles de riz ou d’Arabidopsis. « Dans ces plantes on empêche l’entrée du césium dans le végétal. Pour cela, on a recherché les transporteurs responsables de l’influx de césium (qui sont en fait les transporteurs du potassium, un élément chimique très proche du césium) et on les a modifiés ou supprimés », explique Nathalie Prat-Leonhardt, responsable du projet.
Dans le cas de l’approche safe-food, cela permet de cultiver des espèces à des fins alimentaires sur des terres légèrement contaminées, ou recontaminées à la suite d’un typhon qui fait ruisseler des radioéléments issus des forêts. Des premières cultures de lignées de riz ont été plantées dans des rizières expérimentales polluées, jusqu'à la récolte des grains mûrs.
Dans le cadre du projet Demeterres, des premières cultures de lignées de riz ont été plantées dans des rizières expérimentales polluées, jusqu'à la récolte des grains mûrs. © CEA
L’approche safe-use, sera développée quant à elle dans le cadre du projet Demeterres/AGRI, qui sera lancé en 2022 : « nous utiliserons des espèces d’intérêt agronomique mais non alimentaires pour la production de biomatériaux, précise Nathalie Prat-Leonhardt. Des sols situés dans des zones d’exclusion ou trop contaminées pourront ainsi être réutilisés, et ces zones revalorisées ».
Actuellement, les chercheurs œuvrent à mettre en place au Japon une(des) filière(s) agroindustrielle(s) « safe-use », avec plusieurs communes d’ores et déjà intéressées, ainsi que des industriels (dans le domaine du bioplastique de Miscanthus). Un autre axe est d’étendre ces bio-solutions à la dépollution d’autres éléments-traces métalliques comme le cobalt ou le cadmium, (dont la toxicité est chimique, et pas radiologique comme pour le césium).
En collaboration avec Olivier Evrard, ils espèrent également pouvoir suivre les transferts de contamination radioactive dans les rivières, alors que la population commence à revenir dans la zone et que les sols décontaminés commencent à être remis en culture. La fertilité et les transferts de radionucléides dans ces sols et les autres paysages seront également suivis dans le projet Demeterres/AGRI.
Etudier et comprendre
le retour des populations sur site
MITATE Lab
Ce programme réunit notamment le CNRS, le CEA, le NIES, l’université de Fukushima et l’université préfectorale de Kyoto.
Aujourd’hui, la contribution française aux études menées sur le site de l’accident et son environnement veut se coordonner à travers
MITATE Lab (Mesure irradiation tolérance humaine via tolérance environnementale).
Ce projet de recherche interdisciplinaire international du CNRS (2020-2025) associe spécialistes des sciences humaines et sociales et des sciences de l’environnement dont Olivier Evrard, expert des transferts des radionucléides dans l’environnement au CEA. « Un des exemples concrets de ce croisement entre sciences humaines et sociales et sciences de l’environnement, vers lequel on aimerait s’orienter est celui qui consiste à aller étudier les zones dans lesquelles les cultures reprennent. Dans ces zones, on mesure la contamination, et parallèlement on interroge les agriculteurs locaux sur leurs pratiques et leurs ressentis », explique Olivier Evrard, qui ajoute « Les activités des populations qui sont revenues ont un impact sur le transfert de la radioactivité résiduelle : les sols décontaminés sont-ils toujours aussi fertiles ? Que vont planter les agriculteurs ? Quelles sont les pratiques à éviter et à privilégier pour limiter la diffusion des contaminants ? »
Il co-dirige le projet avec Cécile Asanuma-Brice, chercheuse en sociologie urbaine au CNRS. Cette dernière précise : « Pour le moment, ceux qui rentrent sont principalement des personnes âgées pour qui il est impensable de repartir de zéro dans un appartement de ville et qui souhaitent mourir dans le village qui les a vues naître et dans lequel elles ont passé leur vie. Cela dit, il y a autant de cas que de personnes et il est difficile de tenir un discours général sachant que les situations varient énormément selon qu'il s'agisse des populations résidentes dans les communes de montagne ou de celles des collectivités en bord de mer ».