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Fukushima, 10 ans après : le CEA à la pointe de la recherche

Poursuivre les recherches dans le domaine de la sûreté


​A la suite de l’accident survenu à la centrale de Fukushima Daiichi, l’ensemble de la communauté nucléaire a pris conscience de la nécessité de maintenir un effort de recherche important dans le domaine de la sûreté des réacteurs nucléaires. Déjà fortement engagé sur ces thématiques avant l’accident, le CEA dispose d’installations expérimentales uniques, telles que la plateforme Tamaris à Saclay pour les recherches sur le risque sismique, la plateforme Plinius à Cadarache, qui permet d’étudier le comportement du « corium », le magma issu de la fusion du cœur du réacteur nucléaire et des divers matériaux qu’il peut rencontrer, lors de sa progression durant un tel accident ou encore la plateforme Verdon permettant de déterminer le comportement des radionucléides lors d’un scénario de dégradation d’un cœur de réacteur nucléaire.

Publié le 9 mars 2021

​Les recherches du CEA dans le domaine de la sûreté nucléaire se concentrent sur les domaines suivants :

  • Les risques naturels, tant pour caractériser et évaluer les aléas sismique et tsunami, que pour étudier les conséquences d’un séisme sur le comportement des structures et des équipements.
  • Le comportement du combustible et du réacteur en situations accidentelles. On distingue les accidents dits « de dimensionnement », avant toute dégradation importante du cœur du réacteur, et les accidents « graves » lorsqu’il y a fusion du réacteur.

  • la recherche de solutions innovantes pour améliorer la résistance des réacteurs aux accidents, aussi bien en termes de combustible que de systèmes de secours hydrauliques, électriques, etc.



Anticiper et simuler les séismes

« Ce projet, dont l’objectif est d’améliorer la sûreté nucléaire, fait partie des grands projets découlant de Fukushima. On y traite de tous les aspects de recherche liés aux séismes, de la source aux équipements », explique Evelyne Foerster, chef du projet SEISM (incluant le projet Sinaps@) au CEA.

Avant de tester la résistance des infrastructures aux secousses sismiques, il est en effet indispensable de savoir de quelle intensité peuvent être ces secousses, en évaluant l’aléa sismique spécifique au site. « La possibilité qu’un séisme et un tsunami extrêmes se produisent n’avait pas été suffisamment prise en compte dans la conception initiale de la centrale de Fukushima Daichii », raconte Evelyne Foerster. En réponse, le projet Sinaps@ a proposé une stratégie d’évaluation probabiliste des conséquences potentielles des séismes sur des sites nucléaires, en mettant l’accent sur la quantification des incertitudes associées. Le point fort de cette approche : permettre à l’exploitant de mieux définir les marges de dimensionnement de ses installations.

Partenaires
du projet Sinaps@

Le CEA, EDF, l’ENS Paris-Saclay, CentraleSupélec, IRSN, le laboratoire 3SR (Sol-Solides-Structures et Risques) de l’Institut Polytechnique de Grenoble, l’École Centrale de Nantes, EGIS – industrie, Framatome, ISTerre, IFSTTAR et le CEREMA.

L’étude du comportement des structures soumises à un séisme est au cœur du projet Sinaps@ lancé en 2014 et qui rassemble plus d’une dizaine de partenaires autour du CEA.


VidéoAnticiper et simuler les séismes


Les ingénieurs-chercheurs du CEA ont également contribué à la mise en œuvre d’une chaîne de simulation de « la faille à la structure et aux équipements », couplant des codes de propagation d’ondes à l’échelle régionale (SEM3D) et à l’échelle du site (par exemple CAST3M). Cette chaîne de simulation a été mise en œuvre dans la deuxième phase de Sinaps@, amorcée en 2018, et qui prendra fin en avril 2021. « Nous avons appliqué nos outils de simulation sur le site de Cadarache, en nous appuyant sur différents scénarios de séismes plausibles pour la région », indique Evelyne Foerster.

Si la simulation représente une grande part du projet, des essais ont également été conduits dans la première phase de Sinaps@, sur la plateforme expérimentale Tamaris, située à Saclay. Cette installation unique dispose de 4 tables vibrantes (dont la table « Azalée », de 36 m2), dédiée à tester la résistance de structures soumises à des vibrations.


La plateforme Tamaris, située au CEA-Saclay, a notamment permis de simuler les impacts et les interactions entre les bâtiments.

​La plateforme Tamaris, située au CEA-Saclay, a notamment permis de simuler les impacts et les interactions entre les bâtiments. © CEA


« Nous avons notamment simulé les impacts entre les bâtiments : sur une installation, les bâtiments peuvent être placés à proximité les uns des autres, avec des équipements posés sur le plancher. En cas de séisme fort, les structures porteuses peuvent être amenées à vibrer et à s’entrechoquer, générant des fréquences de vibration du plancher bien plus élevées que celles du séisme d’origine. Or, certains équipements, comme les armoires électriques sont très sensibles à ces hautes fréquences, et peuvent subir des défaillances graves. Nous avons donc cherché à quantifier l’effet de la distance entre les bâtiments sur les spectres de vibration des planchers et étudié des solutions possibles de couplage entre les bâtiments pour atténuer les conséquences de ce phénomène », détaille la spécialiste.



VidéoPlateforme expérimentale Tamaris : étude de l'interaction bâtiment-bâtiment



Estimer l’aléa tsunami
sur les côtes Atlantique et Manche

Les équipes du CEA se sont également intéressées à l’aléa tsunami, dans le cadre du projet TANDEM, mené entre 2014 et 2017, et rassemblant une dizaine de partenaires français. En effet, si les installations de la centrale de Fukushima Daiichi ont résisté à l’impact sismique, il n’en a pas été de même à la suite de l’impact tsunami. Les codes de calcul utilisés pour dimensionner les structures de protection ne tenaient pas compte de scénarios de submersions d’une ampleur aussi exceptionnelle.

Partenaires
du projet Tandem

Instituts de recherche :

CEA, BRGM, Ifremer, Inria, IRSN, Shom

Universités :

LHSV – Ecole des Ponts ParisTech, UPPA

Industriels :

EDF, Principia

En s’appuyant sur les données du 11 mars 2011, le projet TANDEM visait à tester les codes numériques de modélisation des tsunamis et à en tirer les éventuels enseignements pour les côtes métropolitaines hébergeant des centrales nucléaires (Atlantique et Manche). Il a ainsi été montré que certaines zones de sources sismiques, au large du Portugal, ou dans les Antilles par exemple, ont tendance à provoquer les tsunamis les plus forts pour ces côtes, pouvant se reproduire à des intervalles moyens de 500 à 1 000 ans. D’autres zones sources, susceptibles de produire des glissements de terrains sous-marins (dans les marges de Gascogne et d’Armorique) peuvent donner des tsunamis très hauts près de la source. Mais les effets s’atténuent davantage avec la distance que dans le cas des séismes ; les amplitudes de plusieurs mètres de haut, restent possibles à la côte, mais extrêmement rares, ne se produisant que tous les 10 000 à 100 000 ans au moins.




Etudier le comportement du combustible et du réacteur lors de situations accidentelles

Comme l’explique Patrick Dumaz, assistant en prospective scientifique et technique au CEA, « entre la situation normale de fonctionnement du réacteur et l’accident grave, il y a toute une gradation de situations, à éviter d’abord, et à gérer ensuite si, hélas, elles surviennent. C’est ce qu’on appelle la défense en profondeur ». Une partie des recherches du CEA se focalise ainsi sur les situations accidentelles « de dimensionnement », et visent plus particulièrement à prévoir dans ces circonstances le comportement du combustible et des systèmes et l’évolution de l’intégrité de certains composants et équipements du réacteur.

Les recherches visent notamment à mieux étudier les mécanismes susceptibles de conduire à la perte des deux premières barrières de confinement de la radioactivité : la gaine de métal qui enveloppe le combustible, et le circuit primaire du réacteur qui contient les assemblages combustibles. Le maintien du refroidissement du réacteur et la maîtrise de la réactivité du cœur font aussi l’objet d’importantes recherches. L’occurrence de ces situations accidentelles résulte de multiples facteurs : agressions externes (comme à Fukushima Daiichi avec le tsunami), défaillance de matériels, erreurs humaines, problèmes de conception, problèmes de maintenance.... Ce sont les démarches de sûreté qui doivent prévenir de telles situations et si elles se produisent, garantir les fonctions de sûreté. Le CEA est aussi partie prenante dans la R&D sur ces thèmes.

« L’objectif de ces recherches est de contribuer à la meilleure connaissance possible des accidents, au profit de la filière nucléaire française, en fournissant des outils de calcul et des expériences pour valider ces outils, capables de simuler le comportement du combustible et du réacteur et donc de prédire l’état des différentes barrières de confinement », indique Patrick Dumaz.




Faire face aux accidents graves

Il arrive cependant, comme à la centrale de Fukushima Daiichi, que le refroidissement du réacteur ne soit plus ou mal assuré, et que l’intégrité des deux premières barrières de confinement ne puisse plus être préservée. L’enjeu est alors de conserver l’étanchéité de la troisième barrière, l’enceinte de confinement, dernier rempart entre la matière radioactive (les éléments radioactifs volatiles relâchés par le cœur et le corium qui contient les éléments non relâchés), et l’environnement.

« Le CEA est très impliqué sur les recherches concernant les accidents graves. Il travaille notamment sur l’aspect hydrogène, dont l’explosion peut faire rompre la dernière barrière, ainsi que sur le « terme source », c’est-à-dire les éléments radioactifs relâchés. Il s’agit de déterminer en quelle quantité ils le sont, à quelle vitesse et sous quelle forme. Nous travaillons également sur le comportement du corium, qui lui aussi peut rompre la troisième barrière, par l’érosion du béton de l’enceinte », souligne Patrick Dumaz.


Une partie de ces recherches est menée ainsi, avec EDF et Framatome, dans le cadre du projet « Accidents Graves ». C’est l’un des projets « historiques » du partenariat tripartite – les premières recherches ayant suivi l’accident de Three Miles lsland aux États-Unis, survenu en 1979.

Les actions ont pour but de travailler sur les stratégies de stabilisation du corium en cuve ou hors cuve, d’évaluer le risque hydrogène, d’estimer le « terme source » et les moyens à disposition pour limiter les conséquences d’un accident grave, et au final de maintenir une expertise reconnue internationalement sur cette thématique.

« Parmi les réalisations récentes les plus marquantes, on peut citer les efforts importants de développement et de validation du logiciel TOLBIAC-ICB calculant l’érosion du béton sous la centrale, en fonction de la quantité et de la puissance du corium présent, et des mécanismes de refroidissement de cette interaction entre le corium et le béton. Cela a contribué à faire valider par l’ASN la stratégie de gestion du corium proposée par EDF pour les réacteurs de 2e génération du parc actuel. »


Par ailleurs, le CEA a contribué au programme international BSAF, lancé par l’OCDE en 2012 à la suite de l’accident de Fukushima-Daiichi. Dans le cadre de ce programme, des simulations numériques de l’accident ont été réalisées puis analysées avec les différents logiciels disponibles à l’international. L’objectif était double : améliorer ces logiciels utilisés pour simuler des accidents de fusion du cœur des réacteurs, puis fournir des informations aux parties prenantes japonaises sur l’état final des réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi (en particulier sur la localisation et la composition du corium), pour contribuer à la préparation du futur assainissement et démantèlement des réacteurs.


Plateformes utilisées

  • L’installation Plinius

Située à Cadarache, Plinius est utilisée depuis plus de 25 ans au CEA dans le cadre de ses recherches sur le comportement du corium durant un accident grave, notamment sur ses interactions avec les barrières de confinement du réacteur.

L’installation a notamment été utilisée pour tester des concepts de barrières stoppant le corium, un des nouveaux dispositifs de sûreté mis en œuvre dans les futurs réacteurs français. Les expériences ont consisté à mesurer entre autres l’écoulement du corium, son refroidissement et son interaction avec les matériaux rencontrés sur son passage.


Vidéoplinius-web.mp4


  • L’installation Mistra

Mistra est une maquette à échelle réduite (volume de 100 m3) de l’enceinte de confinement d’un réacteur nucléaire. Elle se focalise sur la thermohydraulique (c’est-à-dire l’étude des mouvements des fluides en tenant compte de la température) de l’enceinte et le risque hydrogène. Ces expérimentations sont liées au développement et à la validation de codes de simulation.
L’hydrogène est simulé par de l’hélium permettant d’étudier la dispersion de l’hydrogène en milieu confiné et les différentes stratégies mises en place pour limiter le risque d’une explosion liée à l’hydrogène.


Mistra pour l'étude du risque hydrogène

​Enceinte Mistra dédiée à la mise au point et à l'amélioration des procédés liés à l'hydrogène. © E. De Lavergne/CEA


  • L'installation Verdon

Située à Cadarache, l’installation Verdon permet de réceptionner et caractériser des échantillons de combustibles irradiés dans un réacteur expérimental, de chauffer ces échantillons dans des conditions représentatives de celles rencontrées lors d’un accident grave (durant lequel le combustible est significativement dégradé par une fusion plus ou moins complète du cœur du réacteur), et d’étudier les produits qu’ils relâchent et leur transport dans le circuit primaire d’un réacteur.
L’objectif de ces expériences est d’étudier la quantité et la nature des radionucléides émis par le cœur du réacteur lors de sa dégradation (ce qu’on appelle le terme source). Un enjeu majeur en cas d’accident grave puisque ces radionucléides peuvent se déposer dans les circuits, l’enceinte du réacteur ou être relâchés dans l’environnement.


Installation Verdon à Cadarache © CEA




Continuer à innover

Toutes les actions post-Fukushima amènent les installations nucléaires à des très hauts niveaux de sûreté : les réacteurs de 2e génération ont maintenant un niveau de sûreté très proche de celui des EPR de 3e génération). Il est toutefois crucial de maintenir des efforts de recherches et une capacité d’innovation importants pour répondre à l’objectif d’une amélioration continue de la sûreté, et garantir une expertise de très haut niveau sur ces sujets.  

« Avec EDF et Framatome, nous cherchons à développer de nouveaux systèmes de secours, en particulier les systèmes de sauvegarde dits passifs, conçus pour fonctionner même si les alimentations électriques ont été perdues – ce qui a été un des nombreux problèmes auquel ont dû faire face les opérateurs de la centrale de Fukushima », commente Patrick Dumaz.

Les combustibles font également l’objet de recherches. En particulier, le projet ATF pour « Accident Tolerant Fuel » (également en collaboration avec EDF et Framatome) explore différentes pistes pour mettre au point un combustible plus résistant aux accidents.

« Dans ce cadre, de nombreuses pistes sont explorées, allant de modifications mineures qui limitent le relâchement d’hydrogène, à l’installation de nouveaux gainages très innovants – par exemple en composite basé sur du carbure de silicium, matériau très réfractaire, c’est-à-dire résistant aux températures très élevées et aux attaques chimiques ».


Tressage en 2D d'un tube composite en carbure de silicium pour des gaines de combustibles innovantes résistant à des température

​Tressage en 2D d'un tube composite en carbure de silicium pour des gaines de combustibles innovantes résistant à des températures très élevées. © P. Stroppa/CEA


Le dernier volet de la recherche consacrée à l’innovation se focalise sur l’instrumentation. « Un des gros problèmes à Fukushima a été la défaillance presque totale de l’instrumentation et du contrôle-commande : les salles de commande ont été plongées dans le noir et les opérateurs ne disposaient d’aucune information sur la progression de l’accident. C’est à partir de ce constat que plusieurs projets portant sur l’instrumentation dans ces situations très dégradées ont été lancés. Parmi ceux-ci, les projet Discoms (qui regroupe le CEA, Framatome, l’IRSN, LMP, Thermocoax et le laboratoire Hubert Curien) qui avait pour but de mettre au point une instrumentation innovante, permettant de suivre la progression de l’accident, en particulier par la progression du corium », note Patrick Dumaz.

De ce projet sont issues deux technologies de capteurs pouvant être interrogées à distance pour surveiller, en temps normal, le fonctionnement du réacteur, mais surtout, en cas d’accident, son déroulement précis, de la détection du percement de la cuve du réacteur à la surveillance de la progression et du refroidissement du corium – un soutien qui pourrait être précieux pour les opérateurs lors de ces situations critiques.