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Idées & débats - Regards croisés

Comment limiter le changement climatique ?


​Pourquoi est-ce si difficile de convaincre les décideurs et l’opinion publique de l’urgence à agir face au réchauffement du climat ? Quels sont les freins à une véritable prise de conscience ? Le roman peut-il aider le discours scientifique ? Valérie Masson-Delmotte, climatologue au CEA, coprésidente du groupe de travail 1 du Giec et Laurent Gaudé, écrivain, auteur notamment du roi Tsongor (prix Goncourt des lycéens 2002) en débattent.

Publié le 8 août 2022
​Cet article est l’extrait d’un échange qui s'est tenu dans le cadre du cycle de rencontres « Science toi-même ! », organisées par le CEA et CENTQUATRE-PARIS.

L'humain face aux forces de la nature

Laurent Gaudé : Dans mon univers imaginaire, la nature prend parfois la parole de manière violente et soudaine, comme dans le roman Ouragan, au moment où Katrina a frappé la Nouvelle-Orléans en 2005. J’y raconte deux dimensions qui se juxtaposent, celle d’une tragédie climatique qui arrête la vie des Hommes et celle du petit monde des humains qui bataillent face à cela. C’est peut-être là le point commun de beaucoup de mes livres, cet événement extrême qui fait se révéler la nature humaine.

Valérie Masson-Delmotte : Ouragan m’a en effet particulièrement touchée. Il raconte comment on tente de survivre dans une ville où plus rien ne fonctionne, où des populations pauvres vivent en zone inondable. On voit bien que l’on n’est pas prêt face à un climat qui change, même dans des pays riches comme les Etats-Unis. C’est encore le cas en 2022.

 


De la justice climatique

V.M-D. : Les questions de justices sociale, climatique et entre générations sont très présentes lorsqu’on parle de changement climatique. Plus de trois milliards de personnes y sont très vulnérables. Vous le montrez très bien dans vos romans Ouragan et Eldorado.


L.G. : Cette dimension a d’ailleurs été à l’origine de l’écriture d’Ouragan, qui introduit assez vite dans le récit une colère d’ordre politique, parce que les plus démunis ont été délaissés.


V.M-D. : Sur ces questions climatiques, il existe aussi une forme de rupture, d’injustice, entre générations. Les pays occidentaux ont une responsabilité historique. Nous avons contribué involontairement à un cumul très important d’émissions de CO2. Les jeunes générations portent cela sur leurs épaules. Bien souvent, ceux qui ont des responsabilités et disposent de leviers d’action se défaussent de leur capacité à agir en faisant porter la charge mentale de l’action pour le climat sur les plus jeunes. J’ai été horrifiée lorsque j’ai entendu des députés, à qui je venais de présenter les conclusions de l’un des récents rapports du Giec, me dire : "mais tout va bien, les choses avancent puisqu’on enseigne le changement climatique aux enfants". Si nous n’agissons pas aujourd’hui à la hauteur des enjeux, les plus jeunes devront s’adapter à un climat qui se réchauffe davantage avec des pertes, des dommages, mais aussi des coûts croissants.

Une révolution copernicienne

L.G. : L’amplitude de cette réaction qui nous est demandée impliquera à mon sens une profonde « révolution copernicienne » dans tous les domaines : vie personnelle et quotidienne, choix, mais aussi croyances. Quels seront les dieux de ce monde post-révolution ? La notion de progrès aura-t-elle encore un sens ? La nature redeviendra-t-elle un sujet de croyance forte ? Elle pose aussi des questions de souveraineté et de territoire. La forêt amazonienne par exemple est-elle seulement brésilienne ?


V.M-D. : En effet, si nous voulons arrêter le réchauffement climatique, nous devons aller le plus vite possible vers des rejets mondiaux de CO2 à net zéro, et aussi réduire fortement les émissions de méthane. Plus vite nous y arriverons, moins fort sera le réchauffement. C’est difficile, mais il existe beaucoup de leviers d’action disponibles, dont la faisabilité est établie. Dans le domaine de l’énergie, il faudra décarboner la production d’électricité et électrifier tout le reste. L’utilisation des terres et les pratiques agricoles sont un autre levier. Une alimentation plus végétale permet par exemple de réduire la pression sur les terres, donne plus de place pour stocker du carbone et préserver les écosystèmes. Les systèmes urbains peuvent favoriser l’économie circulaire, l’efficacité énergétique, les mobilités bas carbone, etc. Maîtriser les demandes en énergie, en protéines animales ou encore en matériaux non renouvelables permet de transformer plus rapidement les systèmes de production vers la soutenabilité. Et donc, oui, ces changements posent très profondément la question des types de mode de vie que l’on va rendre possible, collectivement. Je reste aussi persuadée que dans la société, les modifications profondes viennent de la base, puis créent des forces politiques qui s’imposeront ensuite au niveau de la gouvernance.

Lever les freins pour lutter durablement contre le changement climatique

L.G. : Les solutions seront, je le pense, avant tout politiques. Et je continue de placer le politique très haut malgré mes immenses déceptions… Des actions structurantes, courageuses, doivent être mises en place. Mais se dire qu’elles serviront à améliorer non pas mon monde mais celui qui existera après moi demande une abnégation et une morale intérieure fortes. Des vertus un peu antinomiques avec le monde politique, qui vit selon des échéances courtes de réélection.


V.M-D. : Les freins sont encore nombreux : aversion au changement, particulièrement forte en Europe ; défiance par rapport aux gouvernements ; blocages économiques et politiques très profonds ; intégration insuffisante des informations sur le changement climatique en cours et à venir dans les décisions publiques. Il est par exemple impératif de prendre en compte l’augmentation de l’intensité des pluies extrêmes de 7 % par degré de réchauffement pour les infrastructures mises en place aujourd’hui, pour qu’elles fonctionnent correctement dans un climat qui change. J’y ajouterais l’absence de responsabilités clairement établies, notamment celle des décideurs politiques, aussi bien sur la tenue des engagements de réductions d’émission de gaz à effet de serre que sur la capacité à mettre en place des stratégies d’adaptation mobilisant l’ensemble des acteurs et connaissances.

Montrer les réussites

V.M-D. : Il est aussi important de montrer les réussites et pas seulement les risques. Nous avons réussi à éviter une destruction majeure de la couche d’ozone en agissant à partir de l’alerte scientifique au cours des années 1980. Les scénarios de très fortes hausses des émissions de gaz à effet de serre sont maintenant moins plausibles du fait des politiques publiques déjà mises en place : certains pays ont déjà atteint un pic, puis une lente baisse d’émissions de ces gaz ; des ruptures technologiques permettent aujourd’hui de produire de l’électricité bas carbone à un coût abordable, etc. Voir aussi les choses qui avancent, même si ça ne va pas assez vite, ni assez loin, est important.


L.G. : Vous dites que les pires trajectoires ont été évitées. Mais cela, on ne l’entend jamais, c’est dommage…

Partager les connaissances sur le climat

V.M-D. : Convaincre les décideurs et l’opinion publique de l’urgence d’agir pour changer le climat passe par le partage de connaissances. Il y a un vrai enjeu à faire comprendre les causes, ce qu’est un climat qui change, ses implications, dans chaque région, les leviers d’action, les stratégies d’adaptation. C’est tout le travail, entre autres, des médias, des passeurs de science, des programmes scolaires qui doivent d’ailleurs être mis à jour, etc., et de temps en temps, des romans.

L.G. : Je crois profondément à la force du roman. J’ai toujours eu la certitude que l’écriture pouvait avoir une empreinte sur le monde. Sur le climat, sur le nouveau pacte à venir entre l’homme et la nature, il faut que des récits s’en emparent. Car ils produisent d’autres effets chez le lecteur, en laissant en eux et durablement des réflexions profondes. Le mot courage par exemple, celui des populations qui doivent fuir un événement climatique extrême, n’existe pas dans le champ lexical des journalistes, et c’est normal. Il a en revanche toute sa place dans les romans.

V.M-D. : J’ai l’espoir qu’il n’y ait pas que Netflix qui explore le déni et les futurs qu’on ne souhaite pas, comme dans Don’t look up, déni cosmique. Vous pourriez vous emparer des rapports du Giec pour en faire une œuvre littéraire ? Nous disposons déjà d’une trilogie avec ceux de nos trois groupes de travail !

L.G. : Absolument. Si j’ai réussi avec la construction européenne en écrivant Nous l’Europe, banquet des peuples, je pense que je peux le tenter sur le climat, mais laissez-moi au moins deux ans…


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