La stabilité du génome dépend de la capacité des cellules à réparer les cassures double brin de l'ADN tout en protégeant les extrémités naturelles des chromosomes, les télomères, de ces mêmes mécanismes de réparation. Chez la levure Saccharomyces cerevisiae, comme chez les mammifères, cette protection empêche les fusions chromosomiques qui compromettent la survie cellulaire.
Le complexe Ku70/Ku80 (appelé Ku) joue un rôle paradoxal : il est indispensable à la réparation des cassures par jonction d'extrémités non homologues (NHEJ), mais se trouve également lié en permanence aux télomères, sans y provoquer de fusions. Le mécanisme permettant cette coexistence restait incompris.
L'équipe dirigée par Stéphane Marcand au DRCM de l'Institut Jacob a démontré que la protéine Rap1, principal facteur de liaison à l'ADN télomérique, agit comme un “verrou" limitant la progression de Ku sur l'ADN :
- un seul site de liaison Rap1, placé à proximité d'une cassure, suffit à bloquer l'activité de réparation par NHEJ sans empêcher Ku de se fixer ;
- des expériences in vitro (EMSA, cryo-EM, modélisation moléculaire) montrent que Rap1 et Ku peuvent coexister sur un même fragment d'ADN, mais que Rap1 empêche Ku de “glisser" vers l'intérieur de la double hélice – une étape indispensable à la ligature des extrémités lors de la réparation ;
- l'imagerie cryo-EM révèle un complexe Rap1–DNA–Ku où Rap1 agit comme une barrière physique, limitant la translocation de Ku d'environ 25 paires de bases ;
le séquençage par nanopore de fusions télomériques a confirmé in vivo que les télomères où Rap1 est positionné trop près ou trop loin de l'extrémité sont significativement plus vulnérables aux fusions, soulignant l'importance de son positionnement.
Ce mécanisme transforme Ku d'un facteur de réparation potentiellement dangereux en un gardien protecteur des télomères. En restreignant le mouvement de Ku, Rap1 empêche les ligatures accidentelles entre chromosomes tout en préservant la fonction protectrice du complexe Ku.
Cette étude met en évidence un principe universel de protection des télomères, reposant sur la modulation spatiale des interactions ADN-protéines. Elle éclaire comment les organismes maintiennent la stabilité chromosomique sur le long terme et suggère que des mécanismes analogues pourraient exister chez les mammifères.
Crédit : @CEA/DRCM
Modèle proposé pour la protection des télomères par la protéine Rap1 proximale à l'extrémité. Aux télomères, la restriction de la translocation interne de Ku par Rap1 protège les télomères. Yku70 est représentée en jaune, Yku80 en bleu, Rap1 liée au site proximal de l'extrémité télomérique en vert, les autres Rap1 liées au télomère en vert clair, l'ADN télomérique en gris, et le site de liaison de Rap1 mis en évidence en saumon (sur les deux brins).
Contact : Stéphane Marcand