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Actualité | Physique des particules

Les neutrinos, « poids plumes » des particules, pourront compter sur la nouvelle balance de haute précision KATRIN


​Installée en Allemagne et après seulement 23 jours de collecte de données, l’expérience KATRIN améliore déjà les erreurs de mesure des expériences précédentes d’un facteur 2, grâce à une ins-trumentation de taille pharaonique (70 m de long) couplée à une technologie de pointe. Ces pre-miers résultats sont compatibles avec une masse de neutrino électronique de moins de 1.1 élect-ron-volt (eV), contrainte encore inférieure à celle venant des mesures cosmologiques, mais indé-pendantes de tout modélisation de l’Univers. Trouver la fenêtre vers la nouvelle physique de l’infiniment petit, et apporter une pièce au puzzle de la formation primordiale de notre Univers sont les enjeux excitants de la mesure de la masse des neutrinos.

Publié le 16 septembre 2019

​Les données recueillies par l’expérience KATRIN (Karlsruhe Tritium Neutrino Experiment) vont être de plus en plus nombreuses au cours des 5 prochaines années. KATRIN devrait ainsi atteindre une sensibilité sur la masse du neutrino électronique voisine de 200 meV. Le haut potentiel de cette expérience réside dans sa précision et dans le fait que cette mesure est indépendante de tout mo-dèle théorique - contrairement aux mesures issues des observations cosmologiques. En effet, elle repose sur la conservation de l’énergie et la mesure d’une expérience bien connue : la désintégra-tion beta.
Les neutrinos jouent un rôle clé en en physique des particules et en cosmologie. Mis à part les pho-tons, les neutrinos sont les particules élémentaires les plus abondantes de l'Univers, très légères et aux interactions rares, mais qui influencent malgré tout l’évolution de l’Univers primordial. A l’échelle des particules élémentaires, leur très faible masse (l’ordre du milli-eV, un milliard de fois plus petit que les autres particules élémentaires) sous-entend peut-être l’existence d’une nouvelle physique au-delà des théories connues.

Après 20 ans de préparation, l'expérience internationale KATRIN a présenté, ce vendredi 13 sep-tembre, ses 1ers résultats à la conférence internationale en astroparticules qui s’est déroulée au Japon. La collaboration, composée de 150 scientifiques de 20 institutions issues de 7 pays, et au-quel participe le CEA, a relevé avec succès de nombreux défis technologiques lors de la mise en service du montage expérimental de 70 m de long. Au printemps 2019, l'équipe a pu pour la pre-mière fois "mettre les neutrinos sur la balance ultra-précise de KATRIN" : un gaz de tritium de haute pureté a circulé pendant près de quatre semaines dans le cryostat source, et des spectres d'énergie d'électrons de haute qualité ont été recueillis. L’analyse des données a ensuite permis d’extraire le premier résultat de masse de neutrinos. « Nos trois équipes d'analyse internationales ont délibéré-ment travaillé séparément les unes des autres pour garantir des résultats réellement indépendants », explique Thierry Lasserre (CEA), coordinateur de l'analyse. L'accent a été mis sur le fait qu'aucun membre de l'équipe n'était en mesure de déduire prématurément le résultat de la masse de neutrinos avant la dernière étape de l'analyse ".   

Vue d'ensemble de l'installation KATRIN de 70 m de long avec ses principaux composants, de gauche à droite: Source de tritium gazeux, Section de pompage, spectromètres électrostatiques et détecteur d’électrons. (credit KIT)



« La limite sur la masse des neutrinos obtenue par l’expérience KATRIN est une prouesse expérimentale d’une importance considérable. Ce magnifique résultat améliore sensiblement les contraintes directes précédentes et complémente superbement les limites obtenues sur la base d’observations cosmologiques ainsi que les mesures d’oscillation de saveur des neutrinos, auxquelles les chercheurs et chercheuses de notre Département sont asso-ciés. » Gautier HAMEL de MONCHENAULT, chef de département de physique des particules de l’Irfu/CEA
« KATRIN n'est pas seulement une expérience phare de la recherche fondamentale et un véritable instrument de haute technologie, c’est aussi un moteur de coopération internationale qui assure une for-mation de premier plan aux jeunes chercheurs et ingénieurs. » Guido Drexlin du KIT et Christian Weinheimer de l'Université de Münster

Le principe physique exploité par l’instrument KATRIN image kit_neutrino.png

Figure 1a) Spectre d’électrons mesuré par KATRIN. Les données expérimentales sont les points noirs et le modèle en bleu. Les incertitudes sont multipliées par 50 afin d’être visibles. b) Différence entre données et modèle. c) Distribution du temps de mesure passé pour évaluer chaque point de mesure © kit

La mesure de KATRIN utilise un principe fondamental connu depuis longtemps dans les études ci-nématiques directes de la masse de neutrinos : dans le processus de désintégration bêta du tri-tium, l'électron et son partenaire neutre non détecté, le neutrino (électron), partagent statistique-ment l'énergie disponible de 18,6 keV. Dans des cas extrêmement rares, l'électron obtient effecti-vement toute l'énergie de désintégration tandis que le neutrino n'a pratiquement plus d'énergie, la quantité minimale étant – d’après Einstein - sa masse au repos E = mc². C'est cette minuscule dis-torsion spectrale due à la masse non nulle de neutrinos que l'équipe KATRIN recherchait dans un ensemble de plus de 2 millions d'électrons collectés sur une gamme d’énergie de 90 eV autour de l’énergie maximum attendue pour les électrons. La difficulté expérimentale vient de la statistique car seule une désintégration du tritium sur un milliard est intéressante pour mesurer la masse du neutrino. Afin d’accumuler un nombre d'événements et donc une statistique conséquente, l’expérience KATRIN utilise la source de Tritium la plus intense à disposition de la communauté scientifique. « La désintégration beta du tritium ainsi que la réponse de l’ensemble de l’instrument doivent être modélisés avec une précision inférieure au pourcent“ explique Thierry Lasserre: « Avec KATRIN la mesure directe de la masse des neutrinos est entré dans le domaine de la physique de haute précision ».


L’apport du CEA-Irfu à l’équipement

En collaboration avec le MPP (Munich), le CEA-Irfu a développé une nouvelle chaîne d'analyse utili-sant l'approche de matrice de covariance pour étudier et propager les erreurs systématiques et leurs corrélations. Cette analyse a passé avec succès toutes les étapes de validation jusqu'à la me-sure de la masse du neutrino. Elle vient d’être soumise pour publication (Eur. Phys. J. C ). Sur le plan technique, les équipes du Département des accélérateurs, de cryogénie et de magnétisme de l’Irfu ont coordonné l’étude, la réalisation et les tests d'un nouveau système de protection active des aimants supraconducteurs de la source de tritium en collaboration avec KIT.
En juillet dernier, le CEA et le KIT ont d’ailleurs signé, pour la 3e fois, le renouvellement de leur ac-cord de coopération scientifique et technique pour cinq ans.

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