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Le « leviton », une onde électronique silencieuse


​Des physiciens du CEA et du CNRS[1] ont réussi à injecter quelques électrons dans un conducteur sans que ceux-ci y apportent de perturbation. Ce résultat a été possible grâce à la génération d’impulsions électriques à profil temporel « lorentzien » ultra-court. L’onde quantique électronique obtenue, baptisée par les chercheurs « leviton », se propage sans bruit et sans déformation comme le font certaines ondes solitaires optiques ou hydrodynamiques connues (solitons). Ces travaux ouvrent la voie à l’utilisation de sources d’électrons « à la demande », simples et fiables, utiles à terme pour des applications en physique et en information quantique. Ces résultats[2] sont publiés le 31 octobre dans l’édition papier de la revue Nature et sont en ligne sur le site de la revue depuis le 23 octobre.

Publié le 29 octobre 2013

Comment produire et transporter une charge électrique dans un conducteur à l’échelle du monde quantique ? Cette opération se heurte à une difficulté importante. Les charges se déplacent dans un conducteur rempli d’électrons. L’introduction d’une charge supplémentaire met alors toutes les autres charges en mouvement. Comme si une goutte tombant dans la mer provoquait de hautes vagues ! Dans le monde quantique, ces « vagues » d’électrons trahissent leur présence par des fluctuations électriques : on parle de « bruit de grenaille »[3].

Les chercheurs se sont intéressés à la proposition, datant de près de vingt ans, du théoricien du MIT, Leonid Levitov. Si on applique une impulsion de courant particulière à un conducteur, celle-ci peut n’engendrer aucune « vague » dans la « mer » d’électrons que forme le conducteur. Pour réunir ces conditions, il faut que la charge électrique correspondante soit un multiple de celle de l’électron et son profil temporel une courbe de type lorentzienne.

Des physiciens du CEA et du CNRS ont réussi à injecter dans un conducteur une telle impulsion, ne dépassant pas une durée de quelques dizaines de picosecondes, grâce à un générateur de signaux arbitraire toutes les 40 picosecondes (10-12s). La conception du conducteur et du détecteur de bruit est, quant à elle, issue de l’expertise du laboratoire de Nanoélectronique du CEA, pionnier dans la mesure de bruit depuis les années 1990 et de celle de ces collaborateurs du laboratoire de photonique et de nanostructures du CNRS, experts dans l'élaboration de nanotechnologies de structures de très haute qualité depuis le milieu des années 80. Le nano-circuit utilisé comprend un « contact ponctuel quantique » destiné à contraindre la géométrie du conducteur (nanofil). Ce contact est matérialisé par deux nano-électrodes perpendiculaires au passage des charges, séparées de trente nanomètres seulement. La mesure du bruit et de son extinction est une véritable prouesse quand on sait qu’il ne dépasse pas un femto-ampère (10-15Ampère). Les chercheurs ont pu vérifier expérimentalement que seules les excitations électroniques satisfaisant les critères de Leonid Levitov « éteignent » le bruit.

Par analogie avec les « solitons »[4], des ondes « solitaires » capables de se propager sur de très longues distances sans altération, les chercheurs ont baptisé ces excitations fondamentales d’une nature nouvelle « levitons » (contraction de « Levitov » et « soliton »).

[1] Groupe Nanoélectronique, Service de Physique de l’état condensé (SPEC, CNRS/CEA) / Iramis ; Laboratoire de photonique et de nanostructures (LPN, CNRS). Ces résultats sont disponibles sur le site de Nature depuis le 23/10/2013 : http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature12713.html
[2] Des chercheurs de l’ETH de Zürich ont participé à cette étude.
[3] Il s’agit pour des électrons de l’analogue du bruit de photon qui est lié à la nature corpusculaire des particules.
[4] Rencontrés dans de nombreux phénomènes physiques, un soliton est une onde qui se propage sans se déformer dans un milieu non linéaire et dispersif. Par exemple, un mascaret est une forme de soliton.

Ces levitons ouvrent la voie à des sources d’électrons « à la demande », simples et fiables, permettant de réaliser des interférences à plusieurs électrons dans un conducteur. Au-delà de son intérêt en physique quantique, la génération de levitons repose sur une propriété remarquable de modulation des ondes qui pourrait avoir des applications en physique et en information quantique.

Ce travail a bénéficié d’un soutien européen grâce à l’attribution en 2008 d’un financement ERC (Conseil Européen de la Recherche) « Advanced Grant MeQuaNo » (Mesoscopic quantum noise: from few electron statistics to shot noise based photon detection).

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