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Sciences & Patrimoine

Des peintures murales médiévales datées par carbone 14


Pour la première fois, des peintures murales de la fin du Moyen-Âge provenant d’un château en Bourgogne et d’une église en Suisse ont pu être datées de manière absolue, grâce à la mesure du carbone 14 contenu dans un pigment très répandu dans la peinture, le blanc de plomb. Ce résultat, obtenu au Laboratoire de mesure du carbone 14 (CEA/CNRS/IRD/IRSN/Ministère de la culture)1  situé au centre CEA Paris-Saclay en collaboration avec l’Université de Fribourg et le château de Germolles, ouvre la voie à la datation absolue d’œuvres peintes de l’Antiquité au 19e siècle. Il fait l’objet d’une publication dans la revue Scientific Reports, le 12 juin 2020.

Publié le 15 juin 2020

Des chercheurs du Laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC14) situé sur le centre du CEA Paris-Saclay ont réussi à dater des échantillons de peintures murales du château de Germolles (Bourgogne) et de fragments d’enduits muraux d’un ancien jubé, aujourd’hui disparu, de l’église des Cordeliers à Fribourg (Suisse). Château de Germolles.jpg

Fresque murale du Château de Germolles © E.De Lavergne 

Ces peintures sont des systèmes complexes : elles contiennent à la fois du carbone d’origine organique, issu du blanc de plomb (ou céruse, PbCO3) datable par carbone 14 depuis peu2, et du carbone inorganique provenant soit d’un autre pigment blanc à base de carbonate de calcium (CaCO3), soit des matériaux de construction.  

Pour aboutir à cette découverte, les chercheurs ont isolé le carbone issu du blanc de plomb par séparation thermique, en chauffant les échantillons de peinture à basse température. Dans ces conditions, seuls les atomes de carbone du blanc de plomb s’échappent sous forme de CO2 – un gaz facile à récupérer, les autres restant liés au carbonate de calcium, stable jusqu’à 600 °C.

La fraction isotopique du carbone 14 (14C/12C) des prélèvements de CO2 a ensuite été mesurée puis, après des traitements statistiques, les « âges 14C » associés à ces teneurs ont pu être déterminés grâce à la courbe de calibration du carbone 14. Ces « âges » sont constitués de plusieurs intervalles temporels qu’il est parfois possible de resserrer en s’appuyant sur des informations historiques.  

Pour le château de Germolles, la date de cession du château a par exemple conduit les chercheurs à restreindre la datation des peintures à 1380-1400. 
Pour l’église des Cordeliers, les résultats permettent de différencier les deux décors étudiés, dont le plus ancien date des années 1426-1460. Dans les deux cas, les dates d’exécution des peintures murales sont documentées et s’accordent avec les résultats fournis par l’analyse du carbone 14.

 « Le blanc de plomb est un pigment très largement utilisé par les plus grands artistes, en particulier pour les carnations, détaille Lucile Beck, chercheuse CEA et responsable du LMC14. Il est également appliqué en sous-couche sur la plupart des tableaux. Cette sous-couche débordant souvent du cadre, il pourrait être envisagé de prélever de la peinture à cet endroit sans dégrader l’œuvre. Nous travaillons désormais à diminuer encore la masse de matière nécessaire à l’analyse pour pouvoir dater de manière absolue des peintures de chevalet par cette technique ». 
La datation au carbone 14 requiert des matériaux organiques, provenant de végétaux ou d’animaux ayant incorporé du CO2 atmosphérique de leur vivant. Or, les pigments sont le plus souvent obtenus par broyage de minéraux inorganiques, dépourvus de carbone 14, et les liants utilisés par les peintres, d’origine organique, se sont dégradés avec le temps et ne contiennent aujourd’hui presque plus de carbone. Quant au support de la peinture, le bois par exemple, il peut être très antérieur à la peinture et ne permet pas toujours de dater précisément l’œuvre. La datation du blanc de plomb par le carbone 14 a été démontrée en 2018, grâce à la découverte de carbone 14 dans des carbonates de plomb utilisés comme cosmétiques dans l’Égypte et la Grèce antiques . De manière inattendue, des chercheurs du LMC14 avaient alors découvert que le carbone entrant dans la composition des carbonates était d’origine organique, et avaient confirmé que ce pigment avait été produit par synthèse chimique, et non pas par broyage de minéraux. Le procédé de fabrication du blanc de plomb consistait à corroder du plomb en présence de matière organique en fermentation (vinaigre, crottin de cheval, etc.). Utilisé dès l’Antiquité grecque, il a perduré, à quelques variantes près, jusqu’au 19e siècle, avant de céder la place à une production industrielle à base de dérivés pétroliers. Une question subsiste : comment différencier le blanc de plomb composé de plomb et de matière organique et celui fabriqué avec des dérivés pétroliers ? Dans les deux cas, le carbone 14 a disparu depuis longtemps. Un autre isotope du carbone, le 13C pourrait les départager…
1 Le laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC14), instrument national qui réalise les mesures de carbone 14 pour la communauté scientifique française, est géré par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LCSE, CEA/CNRS/UVSQ).

2 Absolute dating of lead carbonates in ancient cosmetics by radiocarbon, Lucile Beck, Ingrid Caffy, Emmanuelle Delqué-Količ, Christophe Moreau, Jean-Pascal Dumoulin, Marion Perron, Hélène Guichard & Violaine Jeammet, Communications Chemistry 1, Article number: 34 (2018). https://doi.org/10.1038/s42004-018-0034-y

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