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DECRYPTAGE - L'OEIL DES EXPERTS

Le CEA, un acteur majeur du numérique de puissance


Simulation numérique et puissance de calcul ont un destin et une histoire communs sur fond de course à la puissance. Les besoins sans cesse croissants de davantage de précision, de réalisme et de rapidité dans la modélisation des phénomènes ont entraîné une demande exponentielle de la puissance de calcul. En quoi le numérique de puissance est-il stratégique pour le CEA ? Comment le CEA est-il impliqué dans son développement ? Explications par Christophe Calvin et Jean-Philippe Nominé, experts en calcul de haute performance au CEA.

Publié le 18 novembre 2021

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le High Performance Computing (HPC) ou calcul de haute performance et le numérique de puissance ? 

Jean-Philippe Nominé : On peut définir le HPC ou calcul de haute performance comme la conjonction d’un ensemble générique de techniques et méthodes, à base d’intégration dense de moyens de calcul et de traitement – en général un supercalculateur - et du développement d’algorithmes, méthodes numériques et applications. Cet ensemble est conçu afin de répondre aux enjeux scientifiques et industriels de modélisation. Un supercalculateur ne doit pas être vu seulement comme une machine énergivore mais comme un élément d’un ensemble de ressources combinées au sein de grandes infrastructures numériques. Le tout au service d’applications scientifiques et techniques mêlant simulation numérique, traitement de données et intelligence artificielle : il s’agit de faire progresser les connaissances, d’aborder et de résoudre de grands problèmes sociétaux, par exemple dans les domaines de la santé, du climat ou de l’énergie, enfin d’améliorer processus industriels et production de biens et de services. 

De la modélisation de systèmes nucléaires à celle du climat, des changements d’échelle dans la représentation des matériaux aux couplages entre données expérimentales et simulation numérique en biologie, des interactions multi-physiques dans les processus complexes à la réduction des incertitudes, toutes ces avancées scientifiques appellent en effet à un développement et une utilisation optimisée des moyens de calcul haute performance. 

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Vue du complexe de calcul Tera 1000, supercalculateur dédié aux programmes de défense confiés à la Direction des applications militaires du CEA par le ministère des Armées. Il est utilisé pour garantir la sûreté et la fiabilité des armes nucléaires de la dissuasion française dans le cadre du programme Simulation. © P.Stroppa / CEA

Christophe Calvin : Le terme numérique de puissance peut embrasser et qualifier une vision élargie du HPC, se déclinant à différentes échelles (traitement au plus proche de la donnée, simulations massivement parallèles, schémas de calcul et traitement complexes mêlant traitement de données et simulations…) et avec diverses modalités d’usage et d’accès (centralisé, en nuage, à la périphérie – edge computing – voire totalement embarqué). 

Le numérique de puissance mobilise la plupart des champs de l’informatique, des sciences des données et du calcul, de manière de plus en plus imbriquée, dans un roulement permanent, sous la pression des besoins scientifiques et industriels, et la poussée des avancées matérielles permises par les dernières technologies. Ainsi le HPC se prépare désormais activement à intégrer des technologies de calcul quantique, pour être en mesure d’en tirer le meilleur parti lorsqu’elles seront opérationnelles. 

Le trait commun entre numérique de puissance et HPC reste la recherche de puissance sans cesse renouvelée, la recherche d’efficacité, notamment énergétique, mues d’une part par la résolution de problèmes extrêmes, aux frontières des connaissances, d’autre part par la démocratisation et l’élargissement des usages. 

Quand est-ce que le calcul de haute performance a-t-il émergé ?

Jean-Philippe Nominé : C’est dans les années 1970, avec les premières machines de forte puissance (vectorielles puis massivement parallèles), qu’on s’est mis à parler de supercalculateurs puis de HPC (High Performance Computing). Depuis plus de 10 ans, on observe de profondes mutations. Les usages scientifiques et techniques de la simulation et du HPC se sont considérablement diversifiés, le besoin de puissance s’est encore accru et étendu au traitement de données. D’abord le Big Data puis l’apprentissage machine, notamment le Deep Learning, ont à la fois profité de la puissance du HPC et stimulé la demande de toujours plus de performances de calcul mais aussi de traitement de données et de stockage. Tout ceci n’efface pas la simulation numérique et le HPC « historiques ». Bien au contraire, ces évolutions complètent et enrichissent la palette de méthodes et de technologies dans le champ élargi du HPC. 

En quoi le numérique de puissance est-il stratégique pour le CEA ?

Christophe Calvin : Acteur majeur de la recherche et de l’innovation, le CEA est de fait un grand utilisateur historique du HPC, avec ses partenaires académiques et industriels. Le numérique de puissance est stratégique pour répondre aux grands défis scientifiques et sociétaux que doit relever le CEA dans ses domaines d’expertise (énergies, santé, recherche fondamentale…) avec une grande diversité d’utilisation (simulations numériques, traitement de données, intelligence artificielle…). 

Pour relever ces défis, le CEA s’est aussi équipé et aguerri dans l’exploitation de grands moyens de calcul. 

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Financé par Genci et ouvert aux chercheurs français comme européens, le supercalculateur Joliot-Curie est installé et opéré depuis 2018 au Très grand centre de calcul du CEA (TGCC). © P. Stroppa / CEA

Quel est le rôle du CEA dans le développement du numérique de puissance, en France et à l’international ? 

Jean-Philippe Nominé : La mise en œuvre de nouvelles générations de technologies numériques apparaît désormais comme un facteur de compétitivité stratégique et un avantage concurrentiel à la construction desquels le CEA participe activement. Conscient des enjeux, le CEA investit pleinement ce champ scientifique et technologique et participe à des évolutions majeures, tant du point de vue des usages que des technologies au service de ces usages. 

Le CEA est ainsi un développeur et producteur de nombreuses technologies utiles au numérique de puissance, et expert de leur intégration. Alliées à des méthodes logicielles allant du système aux applications, ces technologies permettent la mise en place et l’exploitation de grandes infrastructures de calcul et des services qu’elles offrent aux utilisateurs. 

Déjà riche de ses forces vives sur les différents volets du numérique de puissance (algorithmique, informatique, ingénierie de grandes infrastructures, développement et exploitation d’applications), le CEA a développé une stratégie de collaborations dans ce domaine, à l’échelle nationale, européenne et internationale, tant du point de vue académique qu’industriel. 

Christophe Calvin : Au niveau mondial, les États-Unis et le Japon sont les grands acteurs du HPC avec lesquels le CEA entretient des contacts structurés. Collaborer avec le Department of Energy (DOE) américain, qui reste à la pointe des grands programmes nationaux en HPC, permet à la fois d’échanger et de se démarquer, en maintenant une vision française résolument indépendante via le Programme Simulation. Travailler avec le RIKEN au Japon permet d’œuvrer de concert au développement de l’écosystème autour des architectures ARM*, depuis les technologies jusqu’aux applications. 

En Europe, le CEA est activement impliqué dans les initiatives PRACE depuis 2010 et EuroHPC depuis 2018. Parmi beaucoup d’autres, le centre de recherche allemand de Juelich est un partenaire privilégié sur différents axes : citons, par exemple, l’institut de recherche commun AIDAS sur les sciences de la simulation et la collaboration conjointe avec ATOS sur le chemin de l’exascale. Pour faire face à la concurrence internationale, tant du point de vue des technologies (matérielles et logicielles) que du point de vue des applications et des usages, il est indispensable d’agir au niveau européen. La France et l’Allemagne sont ainsi des acteurs importants pour constituer le noyau central d’un écosystème européen sur le HPC et le numérique de puissance. 

Jean-Philippe Nominé : En France, le CEA travaille à la fois avec des partenaires académiques et industriels. Depuis plus de 15 ans, il mène ainsi une collaboration avec ATOS pour la co-conception de supercalculateurs. Ce partenariat a des retombées dépassant désormais largement le cadre français, avec quarante systèmes ATOS dans la liste Top 500 de novembre 2021 (classement des plus grands supercalculateurs dans le monde), en Europe et dans d’autres régions. 

Sur le plan des applications, près de vingt partenaires privés cofinancent le CCRT (Centre de Calcul Recherche et Technologie hébergé au sein du Très Grand Centre de calcul - TGCC - du CEA sur son site de Bruyères-le-Châtel) et son supercalculateur dédié aux usages industriels du HPC. 

Christophe Calvin : Dans le domaine académique, le CEA a naturellement noué des coopérations avec ses partenaires de recherche (CNRS, INRIA, Universités…). Il est également l’un des cinq associés de GENCI (Grand Équipement National de Calcul Intensif), en charge de mettre à disposition des équipements et services HPC pour la recherche et aujourd’hui de préparer la candidature française à l’accueil d’une infrastructure exascale dans le cadre d’EuroHPC (le TGCC étant prévu comme site d’installation à partir de 2024). Ce projet "Exascale France" pour la recherche, ajouté au Programme Simulation de la Direction des applications militaires du CEA, est un puissant moteur pour les activités du CEA et de ses partenaires dans le domaine du numérique de puissance. Ces programmes doivent servir de locomotive à toutes nos activités, avec des retombées plus larges pour l’ensemble de notre écosystème. Au travers de ce projet « Exascale France », le CEA, le CNRS, INRIA et la CPU travaillent à la structuration d’un écosystème national des sciences du calcul et des données, indispensable aux progrès scientifiques et à la compétitivité industrielle de la France. 

*Société spécialisée dans le développement de cœurs de processeurs de type RISC dont l’architecture se caractérise par des instructions de base aisées à décoder.

Cet article est extrait de Clefs n°73 - Le numérique de puissance

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