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Modélisation des villes

Une nouvelle équation révèle l’importance clé des grandes migrations interurbaines dans les variations de populations


Au cœur de l’analyse des systèmes urbains, une question subsiste : comment expliquer l’organisation et la répartition des villes les plus peuplées d’un pays ? Pour y répondre, des chercheurs du CEA et du CNRS proposent une nouvelle équation mathématique qui met en exergue l'importance des « chocs migratoires interurbains », mouvements de populations rares mais très significatifs. Cette équation, construite à partir de données du Canada, de France, du Royaume-Uni et des États-Unis, rend compte pour la première fois des variations temporelles des populations urbaines et de leur organisation. Ces résultats font l’objet d’une publication dans la revue Nature le 18 novembre 2020. 

Publié le 18 novembre 2020
Marc Barthelemy, chercheur de l’Institut de physique théorique (IPhT) (CEA / CNRS / Université Paris-Saclay), et Vincent Verbavatz1, chercheur de l'École des Ponts ParisTech à l’IPhT, ont mis au point une équation mathématique pour expliquer la répartition des villes les plus peuplées d’un pays. Cette équation intègre trois termes :
le bilan démographique ; 
les départs et arrivées vers et de l’international ;
la migration interurbaine, soit la migration entre villes d’un même pays.
Cette équation stochastique est construite à partir de l’analyse empirique de données démographiques récentes  du Canada, de France, du Royaume-Uni et des États-Unis. L’équation de l’IPhT porte ainsi un nouveau regard sur ce qui régit l’organisation des villes, par rapport à celui décrit par la loi de Zipf ou le modèle de Gabaix (cf. encadré ci-dessous). 

Le rôle clé de la migration interurbaine


L’équation révèle que ce sont les chocs migratoires interurbains, autrement dit les mouvements de populations rares mais très importants d’origine économique, politique, sociale, ou climatique par exemple, qui gouvernent la dynamique de l’évolution de la population des villes. Ces migrations interurbaines peuvent même conduire à l’apparition ou la disparition de certaines de ces villes.

À titre d’exemple, des villes étatsuniennes comme Rhyolite dans le Nevada ou Calico en Californie sont apparues lors de la ruée vers l’or (1870-1880) et ont été désertées jusqu’à devenir des villes fantômes dans les années 1950, lors de la période de la crise de l’or. Sur le plan géopolitique, la deuxième guerre mondiale et notamment l’occupation d’une partie de la France a contraint les populations françaises à des migrations interurbaines importantes. 
Plus largement, en urbanisme, cette équation apporte une preuve nouvelle de la possibilité de changer le destin d’une ville. Renforcer l’attractivité d’une ville par des leviers divers (par exemple l’implantation d’une nouvelle entreprise ou une politique de construction de logements sociaux) permettra probablement d’augmenter la population de la ville en question. 

À présent, les chercheurs de l’IPhT souhaitent tester cette équation sur d’autres périmètres géographiques en fonction des données disponibles. Après la population des villes, ils se consacreront probablement à l’étalement urbain. 

Loi de Zipf : les différents modèles

La modélisation des villes s’intéresse aux régularités observées dans les grands systèmes urbains du monde. Elle est attachée à comprendre la répartition des populations urbaines à un instant donné et leur évolution temporelle. 

Selon la loi de Zipf, remarquée pour la première fois en 1913 et énoncée en 1949 par George Zipf, la répartition de la population des villes présente une régularité remarquable. C’est une règle de « taille de rang » qui saisit la relation entre la fréquence d'un ensemble d'objets, en l’occurrence les villes, et leur taille mesurée par la population.  Cette loi dit que si l’on classe les villes d’un pays selon leur population par ordre décroissant (la plus grande ville a donc le rang r=1), la population P d’une ville est inversement proportionnelle à son rang r : P=A/r.  Ainsi, la ville la plus peuplée d’un pays est-elle généralement deux fois plus grande que la deuxième. Pierre angulaire de la géographie urbaine, la loi de Zipf dit en creux que les populations urbaines ne tendent pas vers un optimum qui conduirait à une « taille unique » mais qu’elles sont hétérogènes et obéissent à une sorte de « hiérarchie ». Cette régularité frappante a déclenché de nombreux débats et études depuis plus d'un siècle. 
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Des chercheurs en économie ont suggéré que la loi de Zipf résulte de processus de croissance aléatoire et de chocs économiques. En particulier, l’économiste français Xavier Gabaix a montré en 1999 qu’un taux de croissance démographique indépendant de la taille de la ville peut conduire à la loi de Zipf, à condition d’introduire l'hypothèse non testée que les villes ne peuvent pas devenir trop petites. Ce modèle reste jusqu'à présent le seul paradigme pour comprendre la croissance des villes. 
Cependant, l'augmentation spectaculaire des sources de données a changé la donne. Plusieurs études empiriques récentes remettent en question la loi de Zipf en pointant de nombreuses variations selon les pays, les périodes considérées ou bien la définition des villes utilisées pour les mesures. 

De plus, l’histoire révèle que les villes et les civilisations peuvent apparaître ou disparaître selon une dynamique chaotique que les grands modèles théoriques de Zipf ou de Gabaix, ne pouvaient expliquer. Ces dynamiques sont à présent expliquées via l’équation développée à l’IPhT, modèle mathématique capable d'expliciter les observations empiriques sur les populations urbaines.

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