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Un leurre pour tromper l’adversaire : les ruses moléculaires de l’Arabette


​Camouflage, vitesse, illusions d’optique… le règne animal regorge de stratégies permettant aux prédateurs de capturer leurs proies ou, inversement, à ces dernières de leur échapper. De telles ruses sont également déployées à l’échelle moléculaire. C’est ce que viennent de découvrir des chercheurs du CNRS, de l’Inra, du CEA et de l’Inserm chez l’une des bactéries phytopathogènes les plus dévastatrices de la planète qui court-circuite les défenses des cellules végétales en empêchant le déclenchement d’un « signal d’alarme » immunitaire. Plus étonnant encore, des cellules végétales ont développé un récepteur intégrant un leurre destiné à prendre l’envahisseur à son propre piège. Ces travaux, aux potentialités multiples, sont publiés le 21 mai 2015 dans la revue Cell.

Publié le 21 mai 2015

​Comme pour les êtres humains, l’interception de molécules pathogènes par un système immunitaire est tout aussi indispensable aux plantes : elle leur permet d’assurer leur survie, leur croissance et leur productivité. Leurs réponses de défense reposent entièrement sur une résistance génétique (immunité innée) conférée par une famille de récepteurs exprimés dans des cellules individuelles. Ces récepteurs restent inactifs jusqu'à ce qu’ils soient activés suite à la reconnaissance de molécules pathogènes spécifiques, appelées effecteurs, qui ont souvent pour objectif de bloquer les voies de défense. La rapidité avec laquelle les populations microbiennes peuvent produire de nouveaux effecteurs qui favorisent l’infection met une pression considérable sur les plantes, les obligeant sans cesse à acquérir de nouvelles capacités de détection. Dans cet article publié dans la revue Cell, les chercheurs décrivent un mécanisme de défense particulièrement ingénieux issu de la plante modèle Arabidopsis  lui permettant de convertir l’activité de virulence d’un effecteur bactérien en déclencheur d’une réponse immunitaire rapide.

Ralstonia solanacearum, une bactérie responsable du flétrissement bactérien de nombreuses espèces végétales telles que la tomate ou le tabac, a développé une stratégie d’invasion particulièrement efficace : parmi les nombreux effecteurs qu’elle injecte dans les cellules hôtes pour bloquer la mise en place des défenses immunitaires figure la protéine PopP2 dont le mode d’action est ici percé à jour. C’est au sein même du noyau des cellules, où des régions d’ADN sont coiffées de protéines (facteurs de transcription) chargées de réguler l’expression de gènes nécessaires à la mise en place des défenses, que PopP2 est adressée. Une fois dans le noyau, PopP2 utilise son activité enzymatique pour inhiber la liaison de certains facteurs de transcription vis-à-vis de leurs séquences cibles. Ainsi délogées et neutralisées, ces protéines sont incapables d’activer les défenses, permettant alors à l’envahisseur de « déminer » le terrain.

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Plantes d'Arabidopsis inoculées par voie racinaire avec une souche de Ralstonia solanacearum produisant l'effecteur PopP2.
A droite, une plante ne possédant pas le récepteur-leurre est incapable de reconnaitre la présence de la bactérie qui parvient ainsi à entrainer la mort de son hôte.
A gauche, une plante qui possède le récepteur-leurre est en mesure de détecter la présence de l'effecteur PopP2 injecté par la bactérie et ainsi à mettre en place une réponse immunitaire qui bloque l'invasion.
© Laurent Deslandes - Laboratoire des interactions plantes micro-organismes (CNRS/Inra)


Les laboratoires impliqués dans cette étude sont : le Laboratoire des interactions plantes-microorganismes du centre Inra de Toulouse (CNRS/Inra), le Laboratoire de recherche en sciences végétales (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier), ), le Laboratoire biologie à grande echelle (Inserm/CEA/Université Grenoble Alpes), l’Institut de recherches en technologies et sciences pour le vivant (CNRS/CEA/Université Grenoble Alpes), et le laboratoire Agrobiosciences interactions et biodiversité (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier)

A partir de cette découverte réalisée chez Arabidopsis thaliana, une des « proies » de la bactérie Ralstonia solanacearum, les chercheurs ont mis en lumière un mécanisme de défense tout aussi radical que celui déployé par la bactérie. Parmi les protéines manipulées par PopP2, l’une d’entre elles se révèle être un leurre directement intégré à un récepteur immunitaire. En s’attaquant à ce leurre, PopP2 déclenche involontairement le système d’alarme. En effet, c’est une fois délogé de l’ADN que ce récepteur devient capable d’orchestrer le déploiement des défenses.

L'intégration d'un « leurre » au sein même du récepteur étudié présente un avantage indéniable : un tel « système de surveillance » est difficilement contournable par l’agent pathogène puisque c’est l’activité intrinsèque de l’effecteur produit qui active la réponse immunitaire. En s’affranchissant du procédé habituel d’évolution dans lequel chacune des parties améliore tour à tour son arsenal, la cellule végétale prend ici une longueur d’avance. Ainsi, même si PopP2 évolue, tant que son activité demeurera inchangée, il activera inévitablement les mécanismes de défense de la cellule.

Cette stratégie moléculaire de « leurre intégré » pourrait être plus répandue qu’il n’y parait. Ainsi se pose la question de savoir si les domaines de fonction inconnue de récepteurs immunitaires de nombreuses espèces végétales ne pourraient pas s’apparenter à des leurres. Plus qu’une avancée dans la compréhension d’un mécanisme original, cette découverte ouvre la voie à l’élaboration de nouveaux récepteurs immunitaires pouvant intercepter, avec une efficacité redoutable, des facteurs de virulence émanant de pathogènes responsables chaque année de pertes agricoles considérables.

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