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Simuler le Cosmos : l’immense défi des astrophysiciens


Simuler le Cosmos ! C’est l’immense défi que les astrophysiciens se sont assignés depuis plusieurs décennies. Une tâche extrêmement complexe car il s’agit de simuler depuis la moindre particule jusqu’aux confins de l’Univers visible en passant par les galaxies, le milieu interstellaire, les étoiles et les exoplanètes… Explications par Allan Sacha Brun, astrophysicien et chargé de mission HPC au CEA.


Publié le 20 décembre 2021

Pourquoi a-t-on besoin de simuler le Cosmos ?

Parti d’un état quasi uniforme il y a plus de 13,7 milliards d’années, notre Universse complexifie en évoluant. Que ce soit au niveau extragalactique avec une toile cosmique composée de gaz froids tombant dans les amas de galaxies ; au sein même des galaxies avec la présence de bras spiraux ou de barres centrales ainsi que de nuages interstellaires et amas d’étoiles ; ou encore dans les systèmes stellaires pouvant comporter des disques d’accrétion ou des cortèges de planètes, l’Univers est structuré et évolue à toutes les échelles. Cette grande diversité d’échelles spatio-temporelles, de physiques riches et multi-régimes, est extrêmement difficile à appréhender car non linéaire dans la majorité des cas et aucune solution analytique simple ne permet d’y accéder.

Bien que les équations régissant l’Univers, sa structuration et son évolution ainsi que la formation et l’évolution de ses composants (galaxies, milieu interstellaire, étoiles, planètes) soient globalement connues1 grâce à la relativité générale à grandes échelles (celles de la structuration de l’Univers) et à la physique des fluides et des plasmas (avec l’influence de la gravité, de la rotation et du champ magnétique pour la plupart des objets célestes), elles ne sont pas simples à résoudre. Une approche numérique d’approximation est nécessaire à leur résolution pour prendre en compte le régime turbulent et non-linéaire, parfois supersonique et superalfvénique2, régissant la dynamique et l’évolution de ces systèmes.

Comment procède-t-on à la simulation de l’Univers ?

Beaucoup d’astrophysiciens numériciens et théoriciens s’y attèlent, confrontant leurs calculs et prévisions aux myriades d’observations multi-longueurs d’ondes et multi-messagers (photons, particules, neutrinos, ondes gravitationnelles) que les satellites et observatoires au sol produisent. Dans ces simulations, ils s’intéressent à la formation, à la structure et à l’évolution des nombreux objets cosmiques composant l’Univers ainsi qu’à leurs interactions.

Du fait de la diversité des phénomènes physiques mis en jeu et de leur couplage multi-échelles et multi-physiques, les astrophysiciens ont dû développer des codes de simulation massivement parallèles extrêmement performants pour reproduire au mieux les propriétés micro et macroscopiques de ces objets célestes, et ce d’autant plus que la montée en puissance concomitante des supercalculateurs les a incités à passer d’une description à une puis deux dimensions spatiales à une description tridimensionnelle bien plus réaliste mais très coûteuse en calculs.

De plus, cette grande diversité d’échelles spatio-temporelles basées sur des équations aux dérivées partielles résolues numériquement n’est pas simple à appréhender. Par exemple, il faut souvent suivre des échelles de temps rapides pour comprendre une évolution lente, ce qui peut facilement amener à des erreurs de précision. C’est ce qu’on appelle un problème numériquement raide.

Aujourd’hui, la simulation numérique des objets célestes a fait d’énormes progrès (voir figure 1 ci-dessous), et le Département d’astrophysique (Dap-AIM) du CEA Paris-Saclay fait partie des pionniers et des leaders mondiaux du domaine. Les simulations qui sont réalisées par ses équipes capturent un grand nombre d’échelles spatio-temporelles ainsi que plusieurs régimes physico-chimiques. Outre le parallélisme massif, l’utilisation de méthodes numériques novatrices, ont permis d’avancer dans la résolution efficace de ces problèmes numériquement raides.

Figure 1 - quatre simulations numériques 3D

Figure 1 - Voici quatre simulations numériques 3D auxquelles des chercheurs du Département d’astrophysique du CEA Paris-Saclay ont activement contribuées et qui illustrent différentes échelles cosmiques. Aujourd’hui, chacune de ces simulations est réalisée séparément et leur couplage commence à être développé. D’ici dix à vingt ans, on espère calculer ensemble toutes ces échelles et objets, en prenant en compte leur dynamique, leur évolution sur les temps courts et longs, et leur rétroaction mutuelle. © CEA


Quels sont les progrès à réaliser encore dans la simulation des objets célestes ?

Les objets célestes, comme une galaxie ou une étoile, sont encore souvent simulés isolément alors que, dans l’Univers, ils s’enchevêtrent et s’influencent mutuellement. Les prochains progrès dans le domaine ne pourront donc advenir qu’en couplant dynamiquement les échelles et les nombreux régimes physiques. Bien que capturer les seules échelles spatio-temporelles (déjà nombreuses) d’un objet donné soit un défi en soi, il s’agira demain, par exemple, de simuler simultanément l’intérieur d’une étoile, son atmosphère étendue et l’impact de son activité sur les planètes orbitant autour d’elle ou de résoudre la formation stellaire jusqu’au disque d’accrétion (embryon de la formation planétaire) au sein même d’un bras spiral de galaxie et, à terme, de coupler dynamiquement toutes ces échelles et simulations !

D’autres verrous technologiques et méthodologiques restent à lever dans les prochaines années pour simuler le Cosmos et ses nombreux sous-composants de façon dynamique et couplée mais, avec l’arrivée prochaine des supercalculateurs exaflopiques3 et au-delà, cette ambition paraît de plus en plus réalisable. En effet, plus ces supercalculateurs sont puissants, plus ils nous rapprochent de la réalité. La puissance de calcul permet d’obtenir une meilleure résolution, lorsque l’on passe d’une grande à une petite échelle (échelles kilométriques voire métriques). Ces ordinateurs augmentent ainsi la capacité à morceler l’objet étudié en petites sous-structures 3D de plus en plus petites et nombreuses et à décrire les phénomènes plus en détails. Et ce plus rapidement. Leur puissance de calcul sert à enrichir le contenu physique de la simulation, en introduisant par exemple davantage d’espèces chimiques pour décrire un problème physico-chimique complexe dans l’Univers. Ou en considérant plus de paramètres physiques tels que le rayonnement, le champ magnétique ou encore le champ électrique que l’on ne pouvait pas prendre en compte auparavant. 


Cet article est extrait de Clefs CEA n°73


Découvrez le projet ERC Synergy Whole Sun d'Allan Sacha Brunqui a pour but de comprendre le Soleil dans sa totalité, par le développement d'un code de calcul moderne en physique solaire hautement performant sur machines exaflopiques et au-delà.

1 À l’exception de l’intérieur des trous noirs qui requiert une théorie de la gravitation quantique pas encore finalisée.

2On dit d’un flot qu’il est superalfvénique quand il dépasse la vitesse d’Alfvén (du nom d’Hannes Alfvén, astrophysicien suédois et prix Nobel de physique en 1970) à laquelle se déplacent les ondes magnétiques. Pendant de supersonique vis-à-vis de la vitesse du son.

3Supercalculateurs capables d’exécuter un milliard de milliards (10^18) d’opérations flottantes à la seconde (flops).

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