La stabilité du génome dépend de la capacité des cellules à réparer les cassures double brin de l'ADN tout en protégeant les extrémités naturelles des chromosomes, les télomères, de ces mêmes mécanismes de réparation. Chez la plupart des eucaryotes, cette protection empêche les fusions chromosomiques qui compromettent la survie cellulaire.
Le complexe Ku70/Ku80 (appelé Ku) joue un rôle paradoxal : il est indispensable à la réparation des cassures par jonction d'extrémités non homologues (NHEJ), mais se trouve également lié en permanence aux télomères, sans y provoquer de fusions. Le mécanisme permettant cette coexistence restait incompris.
Une collaboration entre le CEA-Jacob et l'équipe IntGen de l'I2BC, impliquant également Gustave Roussy et l'Institut Pasteur, a démontré chez la levure
Saccharomyces cerevisiae que la protéine Rap1, principal facteur de liaison à l'ADN télomérique, agit comme un « verrou » limitant la progression de Ku sur l'ADN :
- un seul site de liaison Rap1, placé à proximité d'une cassure, suffit à bloquer l'activité de réparation par NHEJ sans empêcher Ku de se fixer ;
- des expériences
in vitro (EMSA, cryo-EM et modélisation moléculaire à l'I2BC) montrent que les protéines Rap1 et Ku de levure peuvent coexister sur un même fragment d'ADN, mais que Rap1 empêche Ku de « glisser » vers l'intérieur de la double hélice – une étape indispensable à la ligature des extrémités lors de la réparation ;
- la cryo-EM réalisée par l'équipe de l'I2BC révèle un complexe Rap1–DNA–Ku où Rap1 agit comme une barrière physique, limitant la translocation de Ku d'environ 25 paires de bases ;
- le séquençage par nanopore de fusions télomériques a confirmé
in vivo que les télomères où Rap1 est positionné trop près ou trop loin de l'extrémité sont significativement plus vulnérables aux fusions, soulignant l'importance de son positionnement.
Ainsi Ku serait un véritable gardien des télomères. En restreignant le mouvement de Ku, Rap1 empêche les ligatures accidentelles entre chromosomes tout en préservant la fonction protectrice du complexe Ku.
Cette étude met en évidence un mécanisme de protection des télomères, reposant sur la modulation spatiale des interactions ADN-protéines. Elle éclaire comment les organismes maintiennent la stabilité chromosomique sur le long terme et suggère que des mécanismes analogues pourraient exister chez les mammifères.
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