Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Nobel de chimie : le vivant vitrifié sous le regard du microscope

Succès | Résultat scientifique | Microscope

Nobel de chimie : le vivant vitrifié sous le regard du microscope électronique


​Le jury du prix Nobel de chimie met cette année la biologie structurale sur le devant de la scène. Jacques Dubochet, Joachim Frank et Richard Henderson reçoivent les honneurs pour la mise au point de la cryo-microscopie électronique. Explications.

Publié le 6 octobre 2017
Le prix Nobel 2017 de chimie est attribué à un trio de chercheurs ayant mis au point la cryo-microscopie électronique, capable d’étudier le vivant « dans son jus ». « Plus exactement, cette technique permet d’observer les molécules biologiques, figées dans leur structure naturelle, à l’aide d’un microscope électronique et à l’échelle atomique » précise Guy Schoehn , chercheur à l’IBS.

De l’eau vitreuse et une détection de haut vol
Tout commence en 1988 avec la volonté de développer la microscopie électronique, jusque-là dévolue aux matériaux, pour décrypter la structure d’objets biologiques. « Or, le vide poussé qui règne dans un microscope électronique et l’irradiation d’un échantillon biologique avec des électrons le détruit ! » poursuit le scientifique.  En cause : l’eau renfermée dans ces molécules, qui s’évapore dans le vide et qui, couplée à l’échauffement due aux interactions avec les électrons, détruit la structure de l’échantillon. Jacques Dubochet met alors au point une technique de congélation ultra-rapide qui transforme l’eau sous forme liquide en phase vitreuse. A l’opposé des cristaux de glace de nos congélateurs, l’eau en phase vitreuse est translucide vis-à-vis des électrons. Le premier obstacle est franchi. Toutefois, le pari n’est pas gagné car non seulement les échantillons, même à basses températures bougent sous l’effet du faisceau d’électrons, mais de plus la stabilité mécanique d’un microscope électronique n’est pas parfaite. « Il fallait donc pour obtenir des images plus précises (sans flou) développer des détecteurs beaucoup plus rapides mais également plus sensibles avec un très bon rapport signal sur bruit, souligne Guy Schoehn. Richard Henderson a relevé ce défi en permettant de détecter et de compter chacun des électrons traversant l’échantillon, avec une fréquence de plusieurs centaines d’images par seconde. » Le troisième chercheur nobélisé, Joachim Frank, a de son côté pavé la route permettant de passer des premières images très bruitées de cryo-microscopie électronique (enregistrées sur films photographiques) à la structure tridimensionnelle de l’objet d’origine. Le ribosome qui participe à la traduction de l’ARN messager en protéine a été un des premiers objets étudié et reconstruit en trois dimensions par Joachim Frank. 

Un 2ème cryo-microscope de dernière génération bientôt inauguré en France à l’ESRF
La cryo-microscopie électronique fait partie des techniques de pointe pour décrypter la structure du vivant à l’échelle atomique, avec la cristallographie et la RMN (résonance magnétique nucléaire). Ces dernières ont toutefois comme lacune de nécessiter des cristaux et de figer la structure dans une conformation compatible avec la cristallisation (et donc de l’éloigner de son état naturel) pour la première, et d’être limité en terme de taille de molécule pour la seconde. « La France est à la traîne et n’a pas, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni en Europe, misé sur la cryo-microscopie électronique », regrette le chercheur de l’IBS. Ainsi, dans le monde académique, seul un instrument de toute dernière génération (microscope Krios) est actuellement installé dans l’Hexagone, à Strasbourg, en comparaison de plus d’une dizaine en Angleterre et autant en Allemagne. Malgré tout, le microscope électronique le plus performant de l’IBS à Grenoble, un Polara installé en 2010, permet d’arriver à la résolution atomique. Mais il risque de devenir obsolète très rapidement. « Le 10 novembre prochain sera inauguré un Krios à l’ESRF , toujours à Grenoble, poursuit-il. Le CEA y sera fortement impliqué avec une personne, Grégory Effantin, détaché à 80 % pour le faire fonctionner . Je suis moi même impliqué dans ce projet à 20 % de mon temps depuis environ un an. Cette nouvelle plateforme mise en place et gérée par l’ESRF sera accessible à tous les Européens via des appels à projet similaires  à ceux permettant d’obtenir du temps de faisceau de rayons X. »

Décrypter la rougeole, les adénovirus, les phages…
Les scientifiques de l’IBS et leurs partenaires profitent, depuis la création de l’Institut, de la cryo-microscopie pour décoder le vivant, cette technique se développant au fils des ans. « Nous travaillons par exemple avec les équipes de Martin Blackledge, Irina Gutsche et Rob Ruigrok sur la structure de la protéine protégeant l’information génétique du virus de la rougeole , explique Guy Schoehn. Aussi, nous nous intéressons avec Andrea Dessen aux sécrétines, des systèmes transportant les toxines et les effecteurs libérés par les bactéries (pour infecter leurs hôtes par exemple). Les phages constituent un autre sujet d’intérêt. En collaboration avec Cécile Breyton, mon équipe étudie les bactériophages, alternatives thérapeutiques aux antibiotiques. On peut également citer l’étude des récepteurs à sérotonine, sujet d’étude d’Hugues Nury.» Plus de la moitié des groupes de l’IBS fait appel ou commence à se former à cette technique. La cryo-microscopie électronique s’avère donc un outil de choix pour trouver des réponses aux questions majeures de santé publique.


Haut de page

Haut de page