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Où sera le palu sur une planète plus chaude ?


Aujourd’hui le climat change, les gens voyagent, les moustiques investissent de nouvelles niches écologiques et les populations migrent. Il fallait que se rencontrent un climatologue et un épidémiologiste pour amalgamer ces concepts et esquisser l’avenir du paludisme à une échéance séculaire.

Publié le 6 novembre 2018
Les maladies transmises par un vecteur – moustique ou moucheron – provoquent régulièrement des crises sanitaires. Celles-ci se déclenchent sous l’effet de causes multiples et quelquefois inattendues, comme le fait que les moustiques voyagent en avion ou en container… 

Était-il cependant possible d’anticiper l’épidémie du Zika au Brésil en 2015-16, l’épizootie de fièvre catarrhale ovine en France en 2007-08 ou la flambée de fièvre de la vallée du Rift au Kenya et en Tanzanie en 2006-07 ? Peut-être, car ces crises ont un point commun, peu connu du public : elles se sont développées à la faveur d’événements climatiques particuliers. Ainsi, le Zika a pu prospérer au Brésil grâce au réchauffement dû à El Niño ; la fièvre catarrhale a sans doute progressé depuis son berceau africain vers le nord suite au changement climatique global et la fièvre de la vallée du Rift s’est installée dans une région du Kenya après de très fortes précipitations.
Moustique tigre. © CC0 Domaine publique

Des alertes « épidémio » ?
Cette problématique est au cœur des recherches de Cyril Caminade à l’Université de Liverpool. En étudiant les mécanismes conduisant à ces épidémies ou épizooties, il espère réaliser des prévisions saisonnières pour diffuser des alertes, comme en météo. « Notre modèle de la dynamique de transmission du Zika a montré qu’en 2015-16, les températures liées à El Niño avaient pu favoriser l’épidémie, presque deux ans après l’introduction du virus au Brésil, sans doute pendant la Coupe des confédérations en 2013 ou la Coupe du monde de football en 2014, détaille le chercheur. D’autres facteurs expliquent l’amplification de l’épidémie, notamment le fait que la population n’avait jamais été exposée au virus et n’était donc pas immunisée contre lui. » 

Le lourd tribut de l’Afrique au paludisme

Les pouvoirs publics peuvent mobiliser des moyens pour gérer ces crises. En France, un plan de vaccination du bétail mis en place en 2008 a permis de juguler la fièvre catarrhale ovine en 2012. Des mesures de prévention – démoustication, prophylaxie, médicaments antiviraux – permettent de réduire l’impact de maladies comme le paludisme, la dengue, le Chikungunya ou Zika mais il n’existe pas encore de vaccin efficace à 100 % pour ces maladies comme pour la fièvre jaune. De nombreux laboratoires y travaillent et progressent rapidement, comme en témoigne par exemple le développement par Sanofi-Pasteur d’un vaccin contre la dengue (Dengvaxia).

En dépit d’efforts déployés depuis plusieurs décennies, l’OMS recense en 2016 216 millions de cas de paludisme dans 91 pays – 5 millions de plus qu’en 2015 – et 440 000 décès. L’Afrique subsaharienne paie un lourd tribut à ce fléau, avec près de 90 % des cas et des décès. 

Et le changement climatique ?

À plus longue échéance, quel sera l’impact du changement climatique global sur les maladies vectorielles et sur la santé des populations ? Les projections climatiques sont importantes pour prédire l’évolution des niches écologiques des vecteurs de maladies mais aussi pour déterminer les migrations de populations liées aux aléas climatiques et à leurs impacts sur les terres cultivées. Selon la Banque mondiale, si aucune mesure concertée n’est prise à grande échelle, l’Afrique subsaharienne pourrait compter en 2050 86 millions de migrants climatiques à l’intérieur de son territoire, l’Asie du Sud 40 millions et l’Amérique latine 17 millions. Or des déplacements de populations faiblement immunisées vers des zones à haute transmission de maladies vectorielles ont de fortes chances de renforcer une épidémie. En sens inverse, des migrants originaires de zones endémiques peuvent introduire des pathogènes dans des régions jusque-là indemnes, ce qui a pour effet d’augmenter le risque de transmission autochtone d’une maladie vectorielle, en particulier si le vecteur est déjà présent. 

Si la calotte arctique fondait plus vite…

Gilles Ramstein, chercheur au LSCE, s’est intéressé, quant à lui, à l’une des plus grandes incertitudes pointées dans les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) : la réponse des calottes glaciaires au changement climatique. La calotte arctique pourrait disparaître beaucoup plus vite que prévu, parce qu’elle fond par « secousses » et non pas continûment comme une boule de neige au soleil. « Un énorme apport d’eau douce dans cette région empêcherait la densification de l’eau de mer là où, très froide et très salée, elle plonge vers le fond, explique le scientifique. La circulation océanique serait donc fortement atténuée, ce qui aurait des conséquences majeures partout sur la planète. » 

Fonte des glaces au Groenland © herreid

… la mousson africaine s’effondrerait
En effet, les paléoclimatologues ont observé qu’au cours de l’histoire récente de la Terre, les épisodes de fonte rapide des calottes de glace de l’hémisphère nord s’accompagnent tous d’une atténuation de la mousson africaine et de son déplacement vers le sud. « Aux dommages côtiers consécutifs à la hausse du niveau marin, s’ajoute donc, dans ce cas, une redistribution des zones de mousson. Or ce sont des régions démographiquement très actives, avance Gilles Ramstein. Il y aura donc non seulement des migrations au voisinage des côtes mais aussi à l’intérieur du continent, vers les nouvelles zones de mousson, plus au sud. Quelle sera la nouvelle carte du paludisme ? C’est le point de départ du projet Epiclim ». 

Période de mousson en Ouganda © D.Wegewijs

Chercheurs et modèles collaborent…
Cette idée en tête, Gilles Ramstein se met en quête d’un partenaire, expert des maladies vectorielles, et parmi tous les choix possibles, Cyril Caminade s’impose parce que, d’emblée, les deux chercheurs se « trouvent sur la même longueur d’onde ». Rejoints par une doctorante, Margaux Charra, ils élaborent ensemble leur projet de recherche. « Nous avons choisi de nous focaliser sur le paludisme pour lequel il existe des ponts très simples entre climat et biologie et beaucoup d’informations disponibles », précise Cyril Caminade.

« On part du scénario du Giec le plus pessimiste, mais malheureusement le plus réaliste à ce jour, pour lequel on a déjà des simulations numériques et on accélère la fonte de la calotte du Groenland avec le modèle de l’IPSL (Institut Pierre-Simon Laplace auquel appartient le LSCE), explique le climatologue. Les résultats climatiques obtenus sont ensuite injectés dans différents modèles de vecteurs pathogènes qui calculent les niches potentielles de dispersion des espèces porteuses du parasite du paludisme et les nouvelles saisons de transmission. » Les chercheurs croisent autant de modèles de climat et de vecteurs pathogènes que possible pour éprouver la robustesse de leurs résultats, les interpréter en termes de processus et quantifier les incertitudes associées.

Cyril Caminade (à gauche) et Gilles Ramstein (à droite) © S. Budon

Des impacts importants attendus

Les impacts sanitaires pourraient être importants parce que des zones indemnes de paludisme pourraient être infestées. Inversement, des populations auparavant exposées ne le seront peut-être plus, car la hausse des températures pourrait entraîner une évaporation excessive même pour les moustiques, dont les lieux de reproduction et de ponte ne seront plus appropriés. D’autres vecteurs pathogènes, comme ceux du Zika, seront également affectés par le changement climatique. 

« Au-delà du Zika et du paludisme, nous souhaitons maintenant explorer avec d’autres partenaires biologistes quels pourraient être les vecteurs pathogènes les plus problématiques dans des écosystèmes modifiés, ajoute Gilles Ramstein. Des surprises ne sont pas exclues ! »


Teaser du projet : 



Ce projet fait partie du programme DRF Impulsion de la Direction de la Recherche Fondamentale du CEA. Pour en savoir plus sur ce programme et découvrir d'autres projets, cliquez ici


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