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Une profonde révision de la modélisation des spectres d’antineutrinos de réacteur


​L'Irfu (DRF), le Laboratoire national Henri Becquerel (DRT) et le Service d'étude des réacteurs et de mathématiques appliquées (DES) se sont associés pour revoir en profondeur les calculs de spectres des antineutrinos issus des réacteurs nucléaires.
Publié le 6 février 2024

Un réacteur nucléaire relâche de grandes quantités d'antineutrinos, émis en majorité au cours de la désintégration radioactive « bêta moins » de produits issus des réactions de fission (avec émission d'un électron). Depuis leur première détection en 1956, ces particules permettent aux physiciens de sonder certaines propriétés fondamentales du neutrino, avec aujourd'hui en ligne de mire, la découverte d'une nouvelle physique, au-delà du modèle standard de la physique des particules.

Pour interpréter leurs mesures auprès de réacteurs, les scientifiques doivent calculer les spectres d'antineutrinos émis. Une tâche qui reste très complexe et continue de mobiliser théoriciens et expérimentateurs.

Le difficile calcul des spectres d'antineutrinos

Une première méthode – dite « de conversion » de spectres d'électrons en spectres d'antineutrinos – s'appuie sur des mesures de haute précision de spectres d'électrons, émis lors de l'irradiation de feuilles d'uranium 235 et de plutonium 239 par les neutrons thermiques produits dans le réacteur à haut flux de l'Institut Laue Langevin (Grenoble), dans les années 1980. Aussi le modèle de conversion de Huber-Mueller faisait-il jusqu'à présent référence dans la communauté scientifique.

Plus naturelle et directe, la méthode dite « par sommation » modélise et additionne les spectres bêta de tous les produits de fission. Malheureusement les données nucléaires sur lesquelles ce calcul s'appuie sont incomplètes et souvent mal connues.

Par ailleurs, de nombreuses questions restent ouvertes et questionnent les modèles actuels.

  • L'anomalie des antineutrinos de réacteur, mise en évidence en 2011 suite à une révision de la procédure de conversion, n'a toujours pas trouvé d'explication claire.
  • L'hypothèse d'un 4e neutrino susceptible d'expliquer cette anomalie n'a pas été confirmée par les nombreuses expériences de la dernière décennie, dont STEREO pilotée par l'Irfu et KATRIN.
  • Plusieurs mesures discordantes se sont ajoutées à l'anomalie des antineutrinos de réacteur, certaines d'entre elles contredisant les mesures de référence de l'ILL.

Des physiciens de l'Irfu, de la DRT et de la DES ont donc voulu réviser en profondeur les calculs de spectres d'antineutrinos par la méthode de sommation.

Une refonte en profondeur pour avancer

Ils ont incorporé au code BESTIOLE développé en 2010 à l'Irfu un nouveau formalisme de calcul des spectres bêta, ainsi qu'une mise à jour de toutes les données nucléaires, prenant en compte toutes les mesures réalisées au cours de la dernière décennie. Ils ont par ailleurs pu conduire des calculs beaucoup plus réalistes qu'auparavant, en déterminant la structure nucléaire des états en jeu, dans le cadre d'un modèle en couche, et en la couplant précisément au modèle de désintégration bêta.

Tout au long de ce travail, une étude minutieuse de l'ensemble des effets systématiques a été réalisée, afin de construire, pour la toute première fois, un budget d'incertitude complet et réaliste. Ainsi, il apparaît par exemple qu'environ un quart du flux d'antineutrinos émis par un réacteur reste modélisé de manière trop approximative, notamment à cause de l'incomplétude des bases de données nucléaires. Un constat qui conforte les résultats d'une précédente étude menée par ces chercheurs.

Un nouveau modèle compétitif

Ces développements ont permis d'améliorer le pouvoir prédictif du modèle par sommation tout en le protégeant d'éventuels biais de calcul. Des incertitudes de l'ordre du pourcent vers 2 MeV à une dizaine de pourcents au-delà de 8 MeV ont été obtenues sur le calcul d'un spectre d'antineutrinos, rendant ce nouveau modèle compétitif par rapport aux prédictions par conversion.

  • Les mesures expérimentales les plus récentes, notamment celles fournies par l'expérience STEREO, sont correctement décrites.
  • L'hypothèse selon laquelle l'anomalie des antineutrinos de réacteur serait due à une mauvaise normalisation des spectres d'électrons mesurés à l'ILL est confortée.

Ce nouveau modèle permettra d'analyser de manière cohérente l'ensemble des données expérimentales disponibles, afin d'éclaircir l'origine des anomalies des antineutrinos de réacteur. Ce point est en effet essentiel pour les futurs programmes expérimentaux de mesures sur réacteur.



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