Les cristaux de type pyrochlore A2B2O7 sont formés de tétraèdres jointifs par leurs sommets, qui sont chacun porteur d'un spin électronique. La symétrie de cette structure, qui évoque celle de la molécule d'eau H2O (d'où l'appellation de glace de spin), introduit une « frustration magnétique », à l'origine de propriétés originales, comme l'existence d'un état quantique magnétique, appelé « liquide de spin ». La qualification de « liquide » de cet état magnétique du cristal souligne le caractère désordonné et toujours fluctuant des spins, même à très basse température, au voisinage de 0 kelvin.
Selon certaines approches théoriques récentes, cet état magnétique présente une forte corrélation entre les spins (une fluctuation locale entraînant la réorientation des spins voisins) et il se forme alors un état quantique global, avec un grand nombre de spins intriqués, susceptible de pouvoir encoder de l'information. Cet état de « liquide de spin » a l'avantage d'être relativement robuste et donc, très peu sensible aux perturbations magnétiques.
Neutrons et magnétisme
Dans la continuité de travaux réalisés en 2013, des chercheurs de l'Iramis (LLB) et leurs partenaires ont étudié le titanate de terbium Tb2Ti2O7 par diffusion inélastique de neutrons polarisés en spin, à l'Institut Laue-Langevin (Grenoble).
L'expérience consiste à mesurer la probabilité de retournement du spin du neutron incident. Elle permet de séparer les réponses magnétiques et nucléaires de l'échantillon lors de la diffusion du neutron et de mesurer la dispersion des quasi-particules qui peuplent les états magnétiques excités du système.
Pour interpréter leurs expériences, les scientifiques ont élaboré un modèle décrivant des couplages de spin dipolaire et quadrupolaire et, par des simulations numériques, ils ont pu reproduire de manière satisfaisante l'évolution du spectre de ces quasi-particules et en déduire les meilleurs paramètres de couplage magnétiques.
Dans la phase « liquide de spin »
De cette manière, ils ont placé Tb2Ti2O7 sur un diagramme de phase défini par les paramètres de couplage magnétique : ce composé se positionne alors dans la phase « liquide de spin » recherchée, au voisinage immédiat de plusieurs phases ordonnées classiques, dont l'une est de nature quadrupolaire. L'expérience a également permis de caractériser les excitations magnétiques collectives prédites par le calcul, qui rappellent la dynamique qui émerge de phases magnétiques adjacentes, ordonnées à longue portée.
Ces recherches réalisées en collaboration avec le Laboratoire de physique du solide (Orsay), l'ICMMO (Orsay), l'Institut Néel (Grenoble) et l'Université de Waterloo (Canada) se poursuivent avec l'exploration d'états quantiques magnétiques originaux dans d'autres matériaux.