Après l'avènement des transistors, lasers et horloges atomiques, l'intrication d'objets quantiques – aussi variés que des photons, des électrons ou encore des circuits supraconducteurs – est au cœur d'une seconde révolution quantique, avec en ligne de mire la communication et l'ordinateur quantiques. De quoi s'agit-il ? Deux objets préparés ensemble dans un état quantique – par exemple deux photons polarisés horizontalement ou verticalement – conservent la mémoire de leur origine commune, même s'ils s'éloignent considérablement l'un de l'autre. Si l'on mesure l'état quantique des deux objets intriqués – leur polarisation dans l'exemple proposé – on observe une corrélation spécifique entre les mesures.
Des mesures obéissant à des statistiques quantiques
De quoi dépend cette corrélation ? D'une part, le degré d'intrication des deux objets peut être plus ou moins fort, selon la nature de la source des objets quantiques intriqués – dans l'exemple choisi, les photons à polarisation horizontale peuvent être produits plus fréquemment que les photons à polarisation verticale. D'autre part, il faut effectuer un choix de mesure – comme choisir une orientation de l'analyseur de polarisation – qui est susceptible d'impacter le résultat de la mesure. Afin de générer des corrélations intéressantes, il est en effet primordial que chaque objet puisse être mesuré selon un choix d'au moins deux mesures, chacune ayant au moins deux résultats possibles.
Dans l'expérience d'intrication quantique la plus simple, il existe donc cinq paramètres pouvant affecter la statistique des résultats de mesure : le degré d'intrication des objets et les deux directions selon lesquelles chacun des deux appareils effectue ses mesures. De façon générale, la physique quantique admet cependant des systèmes intriqués avec de nombreux degrés de liberté pouvant donner lieu à une grande variété de corrélations !
Extraire l'information d'une boîte noire
À partir des seuls résultats de mesure, les physiciens sont parfois capables de reconstruire exactement le modèle physique qui décrit les objets intriqués, considérés comme des « boîtes noires ». Mais jusqu'à présent, seules les reconstructions relatives à des états maximalement intriqués étaient complètement connues.
Les physiciens théoriciens de l'IPhT Victor Barizien et Jean-Daniel Bancal montrent qu'il est désormais possible de décrire aussi de manière exhaustive les statistiques issues d'objets partiellement intriqués. « L'idée un peu jolie mais difficile à expliquer a été de décrire les statistiques issues d'états partiellement intriqués à l'aide de ce qu'on comprenait des états maximalement intriqués, tente Victor Barizien. Nous avons trouvé une transformation mathématique qui se prêtait à une interprétation physique fructueuse. »
Une portée considérable, tant fondamentale qu'appliquée
La portée de ces travaux est considérable. La connaissance complète des statistiques quantiques relatives à l'intrication permet d'identifier les limites de la physique quantique elle-même. Elle offre aussi un moyen de test exceptionnellement efficace, applicable à tous types d'objets intriqués et à tous types de mesures, et donc à nombre de systèmes de natures différentes. En particulier, la sécurité de systèmes utilisant l'intrication quantique pourra être renforcée grâce à des tests fondés sur les résultats d'observations effectuées à chaque instant et non plus sur les propriétés physiques des dispositifs, susceptibles d'évoluer au cours du temps. Il serait par ailleurs intéressant de construire un code correcteur d'erreurs basé sur ces propriétés à destination d'un futur ordinateur quantique. Plus généralement, la voie est ouverte à de nouveaux protocoles de test, de communications, de cryptographie ou de calcul quantiques !