La dépression touche des millions de personnes dans le monde. Des médicaments antidépresseurs sont disponibles, mais leurs effets bénéfiques se manifestent souvent seulement après plusieurs semaines et ils présentent une efficacité variable selon les patients. Les mécanismes qui sous-tendent la réponse aux traitements antidépresseurs restent par ailleurs mal compris.
Ces dernières années, la kétamine, un antagoniste du récepteur NMDA utilisé d'abord comme anesthésiant en pratiques vétérinaire et humaine, a bouleversé la prise en charge de la dépression. Administrée à faibles doses, elle peut soulager les symptômes en quelques heures seulement. Les bases cellulaires et moléculaires de cet effet antidépresseur rapide restaient jusqu'ici inaccessibles
in vivo.
Les équipes BioMaps (unité implantée au SHF, CEA/Inserm/CNRS/Université Paris-Saclay) et MOODS (CESP[1]) ont utilisé une technologie d'imagerie moléculaire de pointe : la tomographie par émission de positons (TEP) utilisant le radiotraceur [11C]UCB-J, qui cible la protéine SV2A, marqueur direct de la densité synaptique.
Grâce à l'imagerie TEP-SV2A, les chercheurs ont observé une diminution globale de la densité synaptique chez les souris modèles de dépression (par exposition à la corticostérone) bien caractérisées d'un point de vue comportemental. Cette observation traduit une perte mesurable de connexions neuronales associée à un état dépressif.
L'administration d'une dose unique de kétamine a entraîné une amélioration comportementale rapide sans modification immédiate de la densité synaptique. En revanche, un traitement répété a conduit, trois semaines plus tard, à une augmentation de la densité synaptique, corrélée à la normalisation des tests comportements sociaux et émotionnels.
Les analyses ex vivo ont confirmé ces observations, montrant une corrélation positive entre le signal TEP cérébral et l'expression effective de la protéine SV2A ou de PSD-95, un marqueur synaptique alternatif. L'augmentation tardive de la densité synaptique induite par la kétamine dans le modèle de dépression n'a pas été retrouvée chez des souris non exposées à la corticostérone.
Cette approche translationnelle sans équivalent permet de relier les effets de la kétamine sur la densité synaptique à leurs manifestations comportementales, et d'en étudier la synchronicité. Elle démontre la pertinence de la TEP-SV2A pour étudier l'effet d'un traitement antidépresseur tel que la kétamine sur la synaptogénèse, qui est altérée dans un contexte de dépression, approche qui pourrait être généralisée à d'autres maladies psychiatriques.
Vers la clinique
Cette approche est actuellement mise en œuvre dans le cadre d'une étude clinique visant à explorer la dynamique de la plasticité synaptique en réponse aux traitements antidépresseurs chez les patients (projet ANR SYNAPTOMOOD[2]).
L'ambition de cette approche innovante est de permettre d'objectiver ou prédire plus précocement la réponse thérapeutique, d'identifier les patients non répondeurs et d'optimiser l'efficacité des protocoles de traitement.
Ainsi, la TEP-SV2A doit permettre de relier les dimensions moléculaires, fonctionnelles et comportementales de la dépression. Elle offre un outil unique pour faire le lien entre la recherche préclinique et les neurosciences fondamentales, et la pratique clinique. À l'instar de la médecine de précision développée en oncologie, cette approche pose les bases d'une prise en charge psychiatrique guidée par des biomarqueurs d'imagerie moléculaire.
Contact Institut des sciences du vivant Frédéric-Joliot :
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[1]Centre de recherche en Epidémiologie et Santé des Populations (Inserm, Université Paris-Saclay, UVSQ)
[2]ANR SynaptoMOOD (coordinateur : Pr Romain Colle) : ANR-22-CE17-0015