Jusqu'à très récemment, il existait deux types de matériaux magnétiques : les ferromagnétiques, capables de s'aimanter sous l'effet d'un champ magnétique extérieur et de conserver cette aimantation ; et les antiferromagnétiques dont les spins, répartis sur des sous-réseaux équivalents, ont des directions opposées ce qui induit une aimantation nulle.
Mais, en 2019, des chercheurs de l'Université de Mayence et de l'Académie des sciences de Prague ont prédit théoriquement un troisième type : les altermagnétiques, pour lesquels les sous-réseaux de spins ne sont pas équivalents. Ce nouvel état a été démontré expérimentalement sur un matériau à base de manganèse et de silicium, le Mn5Si3, en 2021. « Comme ce domaine est très nouveau pour l'époque, les papiers ont beaucoup tardé à être publiés dans des revues. A ce jour, quatre matériaux ont été identifiés expérimentalement : le premier est le RuO2, le deuxième le Mn5Si3 (celui de notre étude), puis le MnTe et le CrSb », contextualise Vincent Baltz, chercheur CNRS au laboratoire Spintec du CEA-Irig qui a contribué à cette découverte particulièrement prometteuse.
De fait, l'altermagnétisme combine les avantages du ferromagnétisme (polarisation magnétique d'un courant électrique) et de l'antiferromagnétisme (robustesse aux champs magnétiques et réponse aux fréquences THz ultrarapides). Cette nouvelle classe de matériaux se distingue par la configuration de leurs spins qui leur confère des propriétés propres, comme la possibilité de polariser magnétiquement un courant électrique malgré l'absence d'aimantation. Autant d'intérêts pour les dispositifs spintroniques qui pourraient ainsi gagner en performance et rapidité.
Les nombreux avantages du siliciure de manganèse
Dans la présente étude, les chercheurs se sont intéressés aux propriétés du Mn5Si3 qui a l'avantage d'être composé de matériaux abondants et peu onéreux. D'une part, son altermagnétisme a été révélé par la présence d'un « effet Hall anormal », typique des ferromagnétiques, qui est une propriété de faire apparaître une tension électrique transversale suite à l'application d'un courant électrique longitudinal liée à l'aimantation, alors que Mn5Si3 n'en possède pas. D'autre part, ce matériau a permis de confirmer le rôle des symétries cristallines attendues pour expliquer l'altermagnétisme.
Structure cristalline et altermagnétique de Mn5Si3
Imbriqués dans la structure cristalline des atomes de silicium (gris), les atomes de manganèse (violet) sont répartis en un grand et petit hexagone au centre. Les chercheurs ont montré que l’altermagnétisme est produit par seulement quatre des six atomes de manganèse centraux formant un ensemble de moments magnétiques colinéaires orientés alternativement dans des directions opposées (flèches oranges et bleues). © V.Baltz et al.
Par ailleurs, même si Mn5Si3 révèle sa phase altermagnétique en dessous de 240 K, alors que le RuO2 ou le MnTe le sont à température ambiante (300 K), il permet de s'affranchir d'une contrainte qu'explique le chercheur : « un effet dit extrinsèque peut perturber les conclusions de notre étude : il est lié au couplage spin-orbite (lorsque le spin de l'électron est couplé à sa trajectoire) qui s'ajoute au rôle intrinsèque des symétries. Mais si les éléments constitutifs du matériau sont légers, le spin-orbite est alors minimal ce qui est l'avantage de Mn5Si3 par rapport aux trois autres matériaux identifiés ».
La découverte du caractère original altermagnétique ouvre un nouveau champ d'investigations dans le domaine de la physique des matériaux et promet des développements innovants.