Les électrolytes sont des liquides contenant des ions, c'est-à-dire des entités chimiques portant une charge électrique non nulle. Ils sont au cœur de nombreuses technologies telles que les batteries, les supercondensateurs ou encore les biocapteurs. À faible concentration, leur comportement est bien compris : les ions s'écrantent mutuellement selon une distance caractéristique, appelée longueur de Debye, qui diminue à mesure que la concentration augmente.
Cependant, des expériences de Surface Force Balance (SFB) - instruments de mesure ultra-sensibles permettant de déterminer les forces d'interaction entre deux surfaces en approche ou en retrait et d'explorer les forces électrostatiques - ont révélé un phénomène nouveau : à forte concentration, cette longueur d'écrantage augmente au lieu de diminuer, atteignant parfois des distances des centaines de fois supérieures au diamètre des ions. Ce résultat contredit les simulations et la théorie, soulevant des questions fondamentales sur les interactions électrostatiques dans les électrolytes.
Une double échelle cachée
Pour comprendre ce résultat, les chercheurs du CEA-Irig, en collaboration avec une équipe de l'Université de Ioannina (Grèce), ont combiné simulations de dynamique moléculaire et expériences SFB sur un électrolyte modèle : le tétrafluoroborate de lithium, une poudre cristalline blanche utilisée pour améliorer les performances des batteries Li-ions, dissous dans du carbonate d'éthylène, un solvant polaire employé comme composant d'électrolyte.
Leurs travaux ont révélé l'existence de deux longueurs d'échelle distinctes :
- une longueur d'écrantage électrostatique, conforme à la théorie classique, qui diminue avec la concentration ;
- une longueur croissante liée à la taille de domaines ioniques (régions nanométriques d'un électrolyte où les ions sont localement organisés ou regroupés, formant des zones enrichies en espèces chargées, au sein desquelles se produit principalement le transport ionique).
Les chercheurs ont montré que les effets « à longue portée » observés expérimentalement ne sont pas dus à des forces électrostatiques inhabituelles, mais à la croissance de domaines ioniques. Une explication cohérente et sans paramètre ajustable (mesures en direct des longueurs déterminées par la simulation).
Vers la conception d'électrolytes avancés
Ce travail met fin à une divergence de longue date entre expériences, simulations et théorie. Elle ouvre également des perspectives concrètes : mieux comprendre la structure interne des électrolytes permettra de concevoir de nouveaux matériaux plus performants pour les technologies de stockage d'énergie et de détection nouvelle génération.