Lorsque l'on refroidit un liquide sans qu'il cristallise, sa viscosité croît rapidement, au point qu'il atteint un état hors équilibre : le verre. Ce passage s'accompagne d'un ralentissement marqué de la dynamique moléculaire et d'une augmentation des corrélations entre molécules voisines. Comprendre ces phénomènes est essentiel pour caractériser la transition vitreuse, mais reste difficile à étudier expérimentalement.
Mesurer la dynamique collective
Une technique clé est la spectroscopie diélectrique non linéaire, qui sonde la réponse d'un liquide polaire soumis à un champ électrique intense. Contrairement à la réponse linéaire, bien documentée, la composante cubique du spectre (susceptibilité d'ordre 3, notée χ(3)) reste délicate à mesurer. Elle est cependant considérée comme sensible aux mouvements collectifs des molécules et présente une « bosse » caractéristique qui croît lors du refroidissement.
L'équipe du SPEC (Iramis) a simulé, par dynamique moléculaire, un système de plus de 2000 molécules de glycérol soumises à un champ électrique statique. Ces calculs permettent d'obtenir directement le spectre diélectrique non linéaire, séparant la contribution des corrélations individuelles (self) et croisées (cross). Les résultats montrent l'émergence progressive de la bosse caractéristique dans le module de χ(3) dès que la dynamique devient « sur-activée », c'est-à-dire lorsque l'énergie d'activation de la diffusion moléculaire commence à croître avec le refroidissement.
Corrélations dynamiques et validation expérimentale
La comparaison avec les données expérimentales disponibles révèle une cohérence remarquable, malgré des régimes de température différents : les expériences sondent les basses températures proches de la transition vitreuse, alors que les simulations explorent le domaine de température plus élevé, accessible numériquement. L'alignement des deux approches permet de couvrir près de dix ordres de grandeur en temps de relaxation moléculaire.
Un autre apport majeur de la simulation est la possibilité de dissocier l'effet des corrélations dipolaires, qui influencent la réponse linéaire, et celui des corrélations dynamiques, responsables des mouvements collectifs. Les calculs montrent que, dans le cas du glycérol, ces corrélations dipolaires jouent un rôle mineur dans l'évolution du maximum de χ(3), confirmant que cette grandeur est bien liée aux corrélations dynamiques. De plus, l'évolution du maximum de la susceptibilité non linéaire suit celle du nombre de molécules dynamiquement corrélées, estimé via la susceptibilité à quatre points, et celle de l'énergie d'activation effective.
Ces résultats confirment ainsi que la spectroscopie diélectrique non linéaire, associée aux simulations numériques, constitue un outil pertinent pour explorer la nature de la transition vitreuse. Ils ouvrent la voie à une meilleure compréhension des mécanismes collectifs en jeu dans le ralentissement de la dynamique moléculaire des liquides surfondu.