Par nature, les données expérimentales sur le noyau atomique ne peuvent être que parcellaires et il convient donc de les compléter par des approches théoriques. Dans ce sens, la modélisation du noyau atomique « à partir des premiers principes » (ab initio) est une des voies les plus prometteuses sur le long terme.
La principale difficulté de cette méthode est qu'elle repose sur la résolution de l'équation de Schrödinger dont le coût numérique augmente de manière exponentielle avec le nombre de neutrons et de protons qui constituent le noyau d'intérêt. A l'heure actuelle, les limites du calcul numérique de haute performance restreignent la résolution exacte de l'équation de Schrödinger aux noyaux les plus légers (jusqu'aux isotopes de l'oxygène, c'est-à-dire 8 protons).
Les méthodes d'approximations habituellement utilisées
Il existe cependant des méthodes d'approximations systématiques permettant de réduire le cout de résolution de l'équation de Schrödinger et ainsi de repousser en partie les limites de calculs. En parallèle de quelques autres groupes de recherche à travers le monde, les théoriciens de l'Irfu ont acquis ces quinze dernières années une expertise reconnue internationalement dans le développement de ces méthodes d'approximations. Ces dernières reposent sur deux piliers essentiels :
- Le problème est exprimé en termes d'une série de tenseurs caractérisant l'opérateur hamiltonien (donnée d'entrée) et la fonction d'onde du système (donnée de sortie) ; l'équation de Schrödinger (approchée) étant réécrite comme un réseau de tenseurs permettant de déterminer les seconds en fonction des premiers ;
- Le concept de « brisure de symétrie » qui modélise l'état fondamental du noyau par un état déformé et apparié (i.e superfluide). Il permet d'incorporer à moindre coût des effets essentiels de corrélations à longue portée entre les nucléons. Ces derniers, difficilement pris en compte par les méthodes traditionnelles, se situent précisément dans le domaine d'énergie intéressant pour les applications.
Habituellement, une méthode pour réduire les coûts consiste à exploiter la conservation des symétries du noyau pour jouer sur la densité de ces tenseurs : plus ces derniers sont creux (leur nombre d'éléments nuls est grand) plus la complexité ainsi que les besoins de stockage diminuent. Le problème est que la majorité des noyaux nécessitent précisément de briser (temporairement) ces symétries, ce qui rend les calculs rapidement irréalisables à mesure que la masse du noyau augmente.
Une nouvelle méthode d'approximation développée par la collaboration PAN@CEA
En s'appuyant sur leurs précédentes recherches, les chercheurs de l'Irfu et l'Iresne appartenant à la collaboration PAN@CEA ("Problème à N corps au CEA", DRF-DAM-DES) ont ainsi développé une nouvelle méthode, qui consiste cette fois-ci à compresser les tenseurs sans avoir besoin de les construire explicitement, tout en gardant le contrôle de l'erreur associé lors de la résolution des réseaux de tenseurs associés.
Le résultat de ce travail, publié dans European Physical Journal A, permet ainsi de repousser les limites des calculs réalisables grâce à un facteur de compression allant de 5 à 500 selon la forme et le caractère apparié ou non du noyau. Il s'agit d'une avancée importante pour la compréhension des noyaux atomiques de plus en plus lourds et des interactions élémentaires entre les nucléons qui les constituent. Cela ouvre aussi la voie à la construction de théories prédictives et frugales pour les données nucléaires de demain.