Les toutes premières formes de vie sur Terre étaient des microorganismes unicellulaires fragiles qui n'ont laissé que très peu de traces directes. Parmi ces bactéries, quelques-unes appelées bactéries magnétotactiques (MTB). Apparues il y a plus de 3 milliards d'années, ce type de bactérie est toujours présent aujourd'hui dans les environnements aquatiques. Elles présentent la particularité de fabriquer des cristaux magnétiques dans leur cellule, le plus souvent composée de magnétite (Fe₃O₄), qui leur servent de boussole naturelle pour se déplacer le long des lignes du champ magnétique terrestre.
Ces structures peuvent alors rester intactes bien après la décomposition de la cellule pour se fossiliser dans les sédiments. Appelés « magnétofossiles », ces restes font partie des rares indices pour repérer la vie microbienne ancienne dans les archives géologiques. La difficulté est alors de réussir à distinguer la magnétite « biologique » produite par les bactéries de celle formée par des processus purement géologiques.
Un marqueur prometteur : la signature isotopique du fer
Le projet SIGMAG mené par Vincent Busigny (Université Paris Cité, IPGP) en collaboration avec Christopher Lefevre (CNRS, BIAM) et Nicolas Menguy (Sorbonne Université, IMPMC) a permis d'étudier la composition isotopique du fer. La méthode consistait à produire des cultures optimises de la bactérie marine Magnetovibrio blakemorei MV-1 par L'équipe du BEAMM (CEA-Biam) avant de procéder à des analyses de haute résolution en microscopie électronique au sein de l'IMPMC et en spectrométrie de masse au sein de l'IPGP.
Les chercheurs ont ainsi montré que les magnétites d'origine bactériennes sont enrichies en isotopes légers du fer. À l'inverse, la magnétite formée de façon abiotique est plus riche en isotopes lourds. « Cette différence isotopique constitue un marqueur prometteur pour identifier, dans les roches anciennes, l'empreinte d'une activité biologique », expose Christopher Lefevre, responsable de l'équipe BEAMM.
Une biosignature, nouvel outil pour la paléontologie
Ces résultats renforcent les possibilités d'utiliser les isotopes du fer comme une biosignature, ouvrant de nouvelles perspectives : « le repérage de ces signatures spécifiques dans des sédiments anciens permettront de confirmer l'existence de bactéries magnétotactiques il y a plusieurs milliards d'années, et ainsi de mieux comprendre l'émergence des premiers métabolismes sur notre planète » poursuit le scientifique.
Au-delà de la simple chasse aux fossiles, ce type de recherche est crucial pour reconstruire l'histoire de la Terre, ses anciens environnements, et les grandes étapes de l'évolution biologique.
Et demain ?
L'aventure ne s'arrête pas là. Forts de ces résultats sur la souche marine – et précédemment sur une souche d'eau douce –, les chercheurs s'attaquent désormais à l'étude d'autres bactéries environnementales, notamment celles isolées dans la colonne d'eau du lac Pavin, un site naturel riche en bactéries magnétotactiques. L'objectif : affiner encore la signature isotopique et la rendre applicable sur des roches anciennes, y compris celles datant de l'Archéen, période critique où la vie terrestre a émergé.
Une recherche fondamentale où la culture de microorganismes et des analyses de haute résolution s'allient pour percer les mystères les plus anciens sur l'apparition de la vie de notre planète.

Observation des magnétosomes dans les cellules MV-1 grâce à la microscopie électronique
Images montrant les structures magnétiques appelées magnétosomes dans des bactéries MV-1.
(A) Une cellule entière contenant une chaîne de magnétosomes.
(B) Chaînes isolées de magnétosomes : l'alignement des cristaux de magnétite est conservé grâce à une membrane encore présente qui les recouvres.
(C) Gros plan sur un magnétosome entouré de sa membrane (flèche noire) ; la ligne pointillée montre les contours externes de la membrane.
(D) Zoom sur un cristal de magnétite dont la membrane a été retirée.