Une des premières difficultés dans la conception des centrales à fusion est de trouver des matériaux capables de résister aux contraintes thermiques, mécaniques et neutroniques qui auront lieux dans la l'enceinte à vide où se produisent les réactions de fusion. Il faudra en outre limiter les phénomènes d'érosion et le piégeage du tritium, un isotope radioactif de l'hydrogène, utilisé dans la réaction de fusion.
La question du matériau se pose notamment pour le choix du divertor : élément essentiel, ce dernier est situé sur le plancher de la chambre et sert à dévier et capter les « cendres » issus de la réaction de fusion. Justement, l'un des enjeux du tokamak ITER est de démontrer que le tungstène pourra être utilisé comme matériau face au plasma.
Le tungstène : un métal aux multiples avantages
Parmi les matériaux proposés, le tungstène présente l'avantage d'avoir une température de fusion élevée, une bonne résistance à l'érosion physique et une absence d'affinité chimique avec l'hydrogène. Son principal inconvénient est son numéro atomique élevé. Une caractéristique qui le rend fortement rayonnant dans le milieu à l'état de plasma où se produisent les réactions de fusion, ce qui signifie un mauvais confinement de l'énergie et des performances moindres.
Le tokamak WEST, construit et exploité au CEA Cadarache par l'IRFM, est une installation qui utilise des composants en tungstène de technologie ITER, notamment pour son divertor. Ces derniers sont activement refroidis et soumis à une exposition intense sur de longues durées. Des conditions idéales pour comprendre comment limiter l'érosion et la migration vers le cœur du plasma.
Des mois d'expérimentations grandeur nature pour des premiers éléments de réponse
Après plusieurs semaines de campagne et plus de 3h de plasma cumulé, les chercheurs de l'IRFM ont observé une érosion du tungstène en surface du divertor et la production de couches redéposées à proximité. Le détachement de ces dépôts projette alors des poussières de quelques microgrammes de tungstène dans le plasma. Le pic de rayonnement qui en résulte peut induire une forte déstabilisation du plasma (figure 1).
Cependant, les expériences réalisées au bout d'une heure de plasma cumulé ont montré que la production de poussière entrant dans le plasma représentait environ 140 µg de tungstène par minute (avec environ 6 poussières / minute de plasma) (Figure 2) et que le plasma ne pouvait absorber que les poussières de moins de 20 µg, à cause du fort rayonnement qu'elles induisent (un seuil qui dépend certainement de l'énergie disponible dans le plasma pour y faire face).
Ces campagnes expérimentales réalisées dans WEST ont donc montré qu'il existe une situation d'équilibre entre l'érosion causée par les flux d'énergie et de particules arrivant sur le mur et la contamination du plasma : plus le flux augmente, plus l'érosion augmente mais par conséquent, plus cela induit un rayonnement au cœur du plasma et donc une baisse du flux de chaleur qui s'en échappe.
Ce point d'équilibre varie selon l'espacement entre le plasma et la paroi dans la région équatoriale extérieure où sont situées les antennes hyperfréquences de chauffage du plasma. Et il existe des stratégies pour réduire, voire supprimer, l'érosion des éléments en tungstène de la paroi du tokamak.
Des expériences pour limiter l'érosion du tungstène
Parmi les solutions possible, l'ajout d'une faible quantité de gaz léger (azote, argon, néon, …) au mix réactif a pour effet de rayonner une partie de l'énergie disponible au bord du plasma, réduisant considérablement sa température au niveau divertor et donc l'énergie des particules incidentes. Ce régime dans lequel l'énergie des particules incidentes est suffisamment basse pour qu'elles ne puissent pas, en principe, éroder le tungstène est un axe très prometteur en vue d'ITER et des futures centrales utilisant l'énergie de la fusion.
Cette méthode nécessite une grande maîtrise de la fraction d'élément léger injectée mais des expériences menées en 2024 et 2025 ont montré qu'il était possible d'obtenir un tel contrôle, pendant respectivement une dizaine et une trentaine de secondes.
Les mécanismes physiques qui contribuent à la stabilité de ce régime ne sont pas encore parfaitement élucidés et de futures campagnes expérimentales seront dédiées à cumuler des heures de plasma dans ce régime et à évaluer son impact sur l'érosion du divertor.
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