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Première détection de spins électroniques individuels par RPE


​​​Des chercheurs du CEA-Iramis et leurs collaborateurs ont réussi la prouesse de détecter des spins électroniques uniques par résonance paramagnétique électronique (RPE), grâce à un compteur de photons microonde d'une extrême sensibilité. Un résultat disruptif aux conséquences multiples : non seulement la spectroscopie de RPE gagne quelque dix ordres de grandeur en résolution par rapport aux mesures courantes, mais les ions Er3+ dans un cristal CaWO4 préfigurent une nouvelle architecture prometteuse pour le calcul quantique. 

Publié le 12 juillet 2023

​Depuis 70 ans, la spectrométrie de RPE est couramment utilisée par les chimistes, les biologistes ou les ingénieurs pour analyser des matériaux, des protéines, des batteries, des produits alimentaires, etc. Elle permet de détecter la présence d'espèces paramagnétiques – des atomes comportant un électron non apparié – et plus concrètement, des défauts constitués d'ions métalliques (métaux de transition, lanthanides) ou des radicaux libres. Ainsi par exemple, les biologistes s'intéressent-ils aux métaux des sites actifs des protéines et les archéologues, aux défauts paramagnétiques induits par la radioactivité naturelle, qui leur permettent de dater des matériaux anciens.

Cette technique puissante et versatile souffre cependant d'une faible sensibilité.

Depuis de nombreuses années, des physiciens de l'Iramis se sont attachés à repousser cette limite, en s'appuyant sur leurs travaux sur les circuits supraconducteurs quantiques.

  • Ils ont augmenté considérablement le taux d'émission d'un photon micro-onde par les spins par « effet Purcell », grâce à l'utilisation de résonateurs supraconducteurs qui concentrent le champ micro-onde dans une région de taille sub-micronique.
  • Les circuits supraconducteurs sont aussi utilisés comme détecteurs du signal émis par les spins. En particulier, les physiciens de l'Iramis ont développé un nouveau type de détecteur ultra-sensible : un compteur de photon basé sur un bit quantique supraconducteur de type transmon (lire l'actualité DRF).

L'expérience

Capitalisant sur ces avancées, ils ont mis au point une expérience de RPE ciblant le spin électronique porté par les ions erbium (Er3+) inclus dans un cristal de CaWO4, à 10 mK (au lieu de 2 K en RPE classique) . Un choix dicté par le très long temps de cohérence de ce spin dans ce cristal (lire l'actualité DRF).

Les spins électroniques sont excités par une impulsion microonde et relaxent en émettant un photon microonde, détecté par un compteur de photons microonde individuels.

Pour augmenter drastiquement le taux de cette fluorescence (par effet Purcell), les spins sont couplés à une cavité résonante à la fréquence d'émission – celle-ci étant ajustée via l'application d'un champ magnétique. La désexcitation radiative (fluorescence) en régime Purcell devient alors dominante par rapport à la désexcitation non radiative, sous forme de phonons (vibrations atomiques). Les photons microonde sont ensuite collectés efficacement et acheminés via un guide d'onde vers un circuit supraconducteur porteur d'un bit quantique qui change d'état.

L'exploit repose notamment sur la détection d'un photon microonde en une milliseconde, soit une sensibilité totalement inédite pour un compteur de photons à une fréquence microonde (voisine de 7 GHz) : quelque 10-22 W !

Les physiciens apportent aujourd'hui plusieurs preuves de la détection de spins électroniques individuels, et en particulier ils mettent en évidence la signature magnétique unique de spins électroniques dans leur environnement.

Un nouveau paradigme

Détecter des spins individuels est un changement de paradigme pour la spectroscopie RPE, en particulier par le gain de résolution spectrale obtenu, qui peut être de plusieurs ordres de grandeur. C'est donc une toute nouvelle exploration de la matière qui devient possible et selon Patrice Bertet, chercheur à l'Iramis, « il est encore difficile de prédire les applications les plus fructueuses qui découleront de ce gain en résolution spectrale vraiment colossal ». Cette avancée, en rupture avec la technologie existante, a d'ores et déjà éveillé un intérêt immense dans la communauté scientifique de la RPE.

L'expérience démontre également tout l'intérêt du spin électronique d'ions de terres rares dans un cristal (en particulier Er3+ dans CaWO4) comme future plateforme de calcul quantique.

  • Une centaine de qubits de spin électronique est présente sur l'espace sondé.
  • Le temps de cohérence de ces spins atteint 3 ms et compte parmi les plus longs mesurés pour des spins électroniques individuels dans un solide.
  • La méthode de détection est générale et s'applique à tous les systèmes paramagnétiques.

Comme pour les impuretés dans le diamant (centres azote-lacune, NV), il est également envisageable d'exploiter les 5 à 10 spins nucléaires environnant chaque spin électronique de Er3+ afin de réaliser des registres pour le calcul quantique. ​



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