Une équipe de scientifiques de l'IBS du CEA-IRIG a filmé, en temps réel et à l'échelle atomique, les changements moléculaires dans un cryptochrome après exposition à la lumière, révélant précisément comment une étape clé de protonation une molécule de flavine adénosine diphosphate (FAD) déclenche la transition vers l'état de signalisation d'un cryptochromes.
Les photorécepteurs chryptochromes : horloges et boussoles biologiques
Longtemps restés énigmatiques (comme leur nom l'indique), les cryptochromes sont aujourd'hui identifiés comme des photorécepteurs essentiels à la régulation des rythmes circadiens. Ils forment une famille des flavoprotéines, capables de faire transiter des électrons grâce aux propriétés redox de leur cofacteur, et sont sensibles à la lumière bleue et, parfois, rouge. Ils sont apparentés aux photolyases (photoenzymes réparatrices de l'ADN) mais ont – pour la plupart – perdu cette fonction au cours de l'évolution.
Chez l'humain, deux types de cryptochromes contribuent à ajuster notre horloge circadienne sur le cycle jour/nuit. Chez certains oiseaux migrateurs, ils pourraient servir également de boussole interne.
Le cryptochrome de la petite algue verte Chlamydomonas reinhardtii (CraCRY), choisi par les scientifiques, est un modèle de choix pour étudier ces mécanismes. Bifonctionnel, il agit à la fois comme régulateur circadien et comme photolyase. Il constitue également un modèle idéal pour l'étude des mécanismes communs aux cryptochromes eucaryotes.
Un film moléculaire tourné à l'échelle atomique
Afin d'observer les premiers instants de l'activation d'un cryptochrome, les scientifiques ont combiné deux techniques de très haute précision, tant spatiale que temporelle :
• La cristallographie sérielle résolue en temps (TR-SFX) qui permet de voir des modifications de structure se produisant à l'échelle de la centaine de femtosecondes, soit 10-10 secondes !
• La spectroscopie in cristallo résolue en temps, rendue possible grâce au nouvel instrument TR-icOS développé à l'IBS et à l'ESRF (Grenoble).
Grâce à la TR-SFX, 19 instantanés de la structure du cryptochrome ont pu être enregistrés à haute résolution, de quelques nanosecondes à plusieurs centaines de millisecondes après son activation par la lumière. Ces expériences, menées notamment au laser à électrons libres SACLA (Japon), ont révélé une série d'événements structuraux, parfois inattendus.
Tout commence lorsque le cofacteur flavine absorbe un photon bleu, créant une paire radicalaire (cofacteur + protéine). Cette étape ouvre temporairement un chemin de transfert de protons entre la flavine et le solvant environnant, permettant à la fois la modification structurale et spectroscopique de cette paire radicalaire par protonation. Cette protonation marque le basculement vers la formation de l'état de signalisation biologique, dans lequel une hélice alpha de la protéine est progressivement débobinée.
Cette transition explique le remarquable découplage temporel entre la réaction photochimique en une fraction de seconde et la structuration complète du signal biologique : si la formation de l'état radicalaire se produisait en une seconde, le signal biologique ne serait accompli qu'après 7 300 ans !
Une meilleure compréhension de la régulation de l'horloge circadienne et de la sensibilité magnétique
Ces découvertes permettent de mieux comprendre comment les cryptochromes :
• transmettent et amplifient un signal ;
• changent de fonction : détection de la lumière bleue, de la lumière rouge, ou réparation de l'ADN.
Mais elles apportent aussi un nouvel éclairage sur leur rôle potentiel de capteurs magnétiques. En effet, la paire radicalaire est sensible aux champs magnétiques faibles. L'étape de protonation décrite dans cette étude pourrait donc jouer un rôle clé dans la boussole interne des oiseaux migrateurs.
Enfin, les structures d'états intermédiaires et de signalisation de CraCRY offrent des pistes pour mieux comprendre comment certaines mutations des cryptochromes humains finissent par causer des troubles du sommeil.

À gauche : la structure de l'état de base du cryptochrome CraCRY, dont le cofacteur flavine et la tyrosine exposée au solvant sont représentés en violet. Après illumination, une paire radicalaire se forme (flavine FADH• et tyrosine Tyr•+), puis s'ouvre un chemin de protonation transitoire (au centre, accompagné d'une carte de différence de densité électronique).
À droite : plusieurs centaines de millisecondes après illumination, l'hélice-alpha C-terminale de CraCRY se déplie, constituant l'état de signal physiologique de lumière.
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