Certaines bactéries, comme Myxococcus xanthus, pratiquent la prédation bactérienne en attaquant directement d'autres bactéries pour s'en nourrir. Ce mode de vie original repose sur un contact direct entre le prédateur et sa proie. Une étude menée par le Laboratoire de Chimie Bactérienne (LCB) met en lumière certains mécanismes moléculaires associés à la reconnaissance et la prédation de bactéries bien plus sophistiqués qu'on ne le pensait.
Dans ces recherches, les scientifiques se sont intéressés à un type particulier de pili bactériens—de fins filaments situés à la surface de la cellule—appelés pili Tad. Plus précisément, ils ont étudié une version impliquée dans la prédation, baptisée pili Kil : des filaments produits localement exactement au point de contact entre la bactérie et sa proie et qui sont constitués d'assemblages de nombreuses sous-unités protéiques appelées pilines.
Une stratégie de prédation unique qui adapte l'arme à la cible
La découverte majeure de cette étude est que l'extrémité du pilus est capable de changer de composition : quatre complexes différents de « pilines mineures » peuvent en effet s'associer pour former un embout, ou tip, modulaire. Ces embouts interchangeables permettent à la bactérie d'adapter finement son pilus en fonction de la proie rencontrée, tel un couteau suisse dont l'outil change selon la tâche à effectuer.
Fait intéressant, le bon fonctionnement de ces embouts dépend aussi d'un autre système intracellulaire appelé T3SS*(Type III Secretion System « sans aiguille »). Ce système est connu pour permettre à certaines bactéries pathogènes d'injecter des protéines dans des cellules hôtes, mais ici, il semble coopérer avec les pili Kil pour permettre la prédation.

Représentation
du système Kil de Myxococcus xanthus assemblé au site de contact avec une proie
© Julien Herrou
Une ubiquité et une diversité révélée par la bioinformatique
C'est grâce l'expertise de la plateforme BIC du BIAM que cette stratégie s'est révélée bien plus répandue dans le monde bactérien qu'on ne le pensait, y compris chez certains pathogènes.
Si de tels pili étaient impliqués dans la virulence de certaines bactéries pathogènes, cela pourrait offrir de nouvelles cibles pour des traitements innovants : En bloquant ces pili ou leurs embouts modulaires, il serait possible de désarmer les bactéries sans les tuer, limitant ainsi la pression sélective qui favorise les résistances. Autre alternative, cette capacité de ciblage pourrait aussi être exploitée pour délivrer précisément des agents antimicrobiens à certaines bactéries — un peu comme un antibiotique guidé.
Cette avancée illustre la force des approches intégrées mêlant biologie moléculaire, imagerie avancée et bioinformatique à grande échelle, pour révéler les stratégies adaptatives du monde microbien. Elle ouvre des pistes prometteuses en matière de virulence, de prédation bactérienne et de développement d'outils thérapeutiques ciblés.
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